* Le dernier logeur de terroristes en vedette

* Des questions sur un cousin d'Abelhamid Abaaoud

* Forte affluence de parties civiles

par Emmanuel Jarry

PARIS, 24 janvier (Reuters) - Le premier procès lié aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis s'est ouvert mercredi devant les représentants de centaines de parties civiles bien que les trois prévenus, dont l'ultime logeur de deux des auteurs, fassent figure de comparses.

Après ces tueries, qui ont fait 130 morts et plus de 400 blessés, Jawad Bendaoud, 31 ans, délinquant multirécidiviste, a hébergé dans un appartement de Saint-Denis Abdelhamid Abaaoud, leur organisateur présumé et un autre tueur, Chakib Akrouh, qui périront le 18 novembre dans l'assaut des policiers du Raid.

Le tribunal correctionnel de Paris s'efforcera pendant trois semaines d'établir si le logeur a agi "pour rendre service", par appât du gain, ou joué un rôle plus trouble.

Lors du siège de l'immeuble, il s'était pavané devant des caméras de télévision en reconnaissant que les deux terroristes recherchés étaient retranchés chez lui.

"On m'a dit d'héberger deux personnes pendant trois jours et j'ai rendu service (...) Je ne les connais pas du tout", avait-il alors déclaré avant d'être interpellé par un policier.

Il a aujourd'hui les mêmes lunettes et la même barbiche mais quelques kilos en plus, après deux ans de détention provisoire. En polo blanc, cheveux noirs coiffés en catogan, il a suivi cette première audience avec parfois un petit air goguenard, hochant la tête ou versant une larme.

L'accusation a retenu contre lui et un de ses co-prévenus, Mohamed Soumah, le recel de terroriste, passible d'une peine de six ans d'emprisonnement, compte tenu de leur passé judiciaire.

Mohamed Soumah a servi d'intermédiaire entre Jawad Bendaoud et une cousine d'Abaaoud, Hasna Ait-Boulahcen, elle aussi tuée dans l'assaut du Raid après avoir été le poisson pilote du djihadiste jusqu'à l'appartement de Saint-Denis.

REQUALIFICATION

Mais des avocats des parties civiles ont demandé dès l'entame du procès une requalification de l'incrimination en recel de terroriste aggravé. Pour eux, Bendaoud et Soumah ne pouvaient pas ignorer que les hommes qu'ils ont ainsi contribué à cacher étaient recherchés pour les attentats du 13 novembre.

La présidente du tribunal a accepté de verser au débat cette question. Elle a longuement insisté, lors du rappel des faits, sur les centaines d'articles de presse et d'heures de radio et de télévision dans lesquels Abaaoud a été présenté comme un acteur-clef des attentats, avant le dénouement du 18 novembre.

La plus grande partie de l'audience a cependant été consacrée à l'interrogatoire du seul prévenu à ne pas être en détention provisoire, Youssef Aït-Boulahcen.

Frère d'Hasna Aït-Boulahcen, jugé pour non dénonciation d'acte de terrorisme, il a changé de nom pour ne plus porter celui de sa soeur, "dans l'intérêt de (ses) futurs enfants".

Pour l'avocat de parties civiles Georges Holleaux, il y a cependant dans son cas comme dans celui de Jawad Bendaoud des "éléments extrêmement troublants".

La présidente du tribunal a longuement interrogé Youssef Ait-Boulahcen sur ses voyages en Mauritanie et au Maroc avant les attentats du 13 novembre, sur des documents salafistes, de propagande djihadiste ou antisémites trouvés dans des téléphones portables et un ordinateur saisis chez lui.

500 PARTIES CIVILES

Elle l'a aussi interrogé sur son intérêt pour l'islam et la langue arabe, sur ses relations avec sa soeur et leurs échanges entre le 13 et le 18 novembre ainsi que sur les raisons pour lesquelles il a jeté une puce de téléphone mobile.

Youssef Aït-Boulahcen, visage glabre, lunettes et langage châtié, a nié toute radicalisation. Il a en revanche chargé sa soeur - "psychologiquement instable" et "perturbée", "elle n'a pas su s'entourer des bonnes personnes" et "raconte beaucoup de mensonge", a-t-il notamment déclaré.

"Je n'ai rien à voir avec Abaaoud", s'est-il défendu. "Je suis un garçon sans histoire (...) Je n'ai rien à me reprocher."

L'audience avait commencé avec une heure et demie de retard, le temps que Mohamed Soumah soit amené au tribunal, un retard imputé au mouvement de revendication des gardiens de prison.

Selon une source judiciaire, une soixantaine de rédactions sont accréditées et plus de 90 avocats assistent à ce procès retransmis dans deux salles, auquel plus de 500 parties civiles ont demandé de se constituer.

Pour Guillaume Denoix de Saint-Marc, directeur général de l'Association française des victimes du terrorisme, le nombre de parties civiles s'explique par "l'espoir d'avoir quelques réponses", bien qu'il ne s'agisse pas du procès des attentats.

"Mon client était agent de sécurité au Stade de France (où un des commandos a frappé). Il est traumatisé, il veut essayer de comprendre.", a renchéri l'avocat Benjamin Vittart.

En attendant le futur procès du dernier survivant présumé des commandos du 13 novembre, Salah Abdeslam. (Edité par Elizabeth Pineau)