* Appel à suspendre les LBD pour "sauver des yeux"

* L'Intérieur fait valoir l'absence d'alternative

* Une décision rendue d'ici vendredi matin

PARIS, 30 janvier (Reuters) - Le Conseil d'Etat s'est penché mercredi sur l'utilisation des lanceurs de balles de défense (LBD) par les forces de l'ordre, liée à des dizaines de blessés dans les manifestations des "Gilets jaunes", et dont les adversaires réclament la suspension dans toutes les opérations de maintien de l'ordre.

Lors d'une audience de près de trois heures, les requérants, parmi lesquels la CGT, la Ligue des droits de l'homme, le syndicat de la Magistrature (SM) et le syndicat des Avocats de France (SAF) ont fait valoir que ces armes de force intermédiaire violaient la liberté de manifester et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants.

"L'enjeu est de savoir si ces forces de l'ordre peuvent assurer le maintien de ce service sans recourir à ces armes non létales, mais dont la dangerosité est démontrée", a déclaré Patrice Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme.

"Je ne crois pas que ce sera en éborgnant des manifestants que l'on arrêtera les manifestations, tout au contraire", a-t-il poursuivi, appelant le juge des référés du Conseil d'Etat à décider d'une suspension nationale pour "sauver des yeux" dès samedi prochain, face à cette absence de nécessité.

Vendredi, le tribunal administratif de Paris avait reconnu que les LBD avaient causé des blessures graves chez 33 personnes, mais estimé que les instructions données par le ministère de l'Intérieur et la préfecture de police écartaient les risques d'excès et la nécessité d'une interdiction à Paris.

Samedi, un nouveau blessé à l'oeil, le "Gilet jaune" Jérôme Rodrigues (qui a depuis porté plainte), a cependant entretenu le débat sur la dangerosité des armes de force intermédiaire.

"On ne peut pas continuer ouvertement à tirer sur les manifestants et à faire croire que ce sont des émeutiers (..)Vous n'avez aucun élément factuel qui démontre que les blessés se trouvaient dans un attroupement", a dit Me Sophie Mazas.

"ÉMEUTES URBAINES"

Elle défendait entre autres un ressortissant néerlandais, traducteur installé en France depuis dix ans, blessé par une "Flash-Ball" au milieu d'une manifestation à Nîmes, ou encore une employée de boulangerie blessée à la tête le 29 décembre lors d'une évacuation de la gare de Montpellier.

Face aux requérants, la défense du ministère de l'Intérieur s'est fondée sur la nécessité de ces armes de défense dans les cas d'attroupements violents, distingués des manifestations pacifiques. Le ministère a cependant reconnu l'existence de problèmes, pris en compte dans des enquêtes judiciaires.

"Il y a 9.228 cas d'usages de LBD, il y a eu 111 signalements (111 enquêtes judiciaires)", a déclaré la défense du ministère de l'Intérieur. "En soi ce chiffre ne traduit pas une atteinte particulièrement grave", a-t-elle ajouté, notant que 37.924 manifestations avaient eu lieu depuis le début du mouvement des "Gilets jaunes" le 17 novembre.

"Le recours aux LBD dans le cadre d'une manifestation est illégal", a reconnu la défense du ministère. "Mais ces manifestations-là ne sont plus des manifestations, ce sont des émeutes urbaines."

Un argument rejeté en bloc par la LDH : "On ne peut pas distinguer, en réalité, l'émeute urbaine de la manifestation, c'est une distinction totalement artificielle", a déclaré Me Spinosi à l'issue de l'audience.

PAS D'ALTERNATIVES A COURT TERME

Le directeur général de la police nationale, Eric Morvan, a exclu que des alternatives aux LBD puissent être trouvées rapidement, tout en défendant la priorité donnée à la distanciation dans la doctrine de maintien de l'ordre en France.

"Elle n'est pas une arme de distanciation, mais pour autant elle est utile en deux occasions, lorsque des individus violents, malgré la mise en oeuvre des dispositifs de distanciation, viennent quand même au contact de manière menaçante", mais aussi pour les policiers civils (BAC, BRI) moins lourdement protégés, qui viennent en renfort pour interpeller d'éventuels casseurs.

"Leur retirer cette arme les rendrait totalement vulnérables", a-t-il dit. "Nous sommes aujourd'hui à la douzième édition de ces manifestations avec certains débordements violents, la fatigue s'est installée", a-t-il mis en garde, assurant que la hiérarchie policière allait redoubler de vigilance sur les consignes données aux policiers et gendarmes.

"S'installent tous les facteurs qui pourraient donner lieu à un accident gravissime", a-t-il ajouté.

La Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovi, s'est inquiétée mardi du "niveau élevé de tension qui prévaut actuellement en France" et "du grand nombre de personnes blessées" notamment par des LBD, à l'issue d'un déplacement à Paris pour évoquer les questions de droits de l'homme liées au mouvement des "Gilets jaunes".

Le Conseil d'Etat rendra son ordonnance au plus tard vendredi matin, et possiblement jeudi après-midi, a précisé le juge des référés du Conseil, à l'issue de l'audience. (Julie Carriat, édité par Yves Clarisse)