* Le ralliement du RN à la cause pro-israélienne suscite la méfiance chez certains

* D'aucuns considèrent que la gauche manque de clarté dans ses critiques à l'égard d'Israël

* "J'ai l'impression d'être entre la peste et le choléra"

par Elizabeth Pineau

PARIS, 26 juin (Reuters) - A cinq jours du premier tour des élections législatives anticipées, Maury et Alain Fischler se sentent, en tant que Juifs français, pris au piège entre deux extrêmes, alors que le Rassemblement national (RN) est en tête des sondages, devançant une coalition de gauche dont ils considèrent qu'elle accueille en son sein des personnalités antisémites.

Le président de la République Emmanuel Macron a convoqué au début du mois des élections législatives, prévues les 30 juin et 7 juillet, un coup de tonnerre déclenché peu après l'annonce des résultats des élections européennes donnant une large victoire au RN en France.

La situation politique inquiète profondément Maury et Alain Fischler, hostiles à l'extrême droite, qui considèrent que la dénonciation de l'antisémitisme par le RN n'est qu'une ruse pour gagner en respectabilité.

"Ce n'est pas parce qu'ils ont ripoliné la porte, qu'ils ont mis dix belles gueules avec de la rhétorique impeccable qu'on peut les croire", lance Alain Fischler, 61 ans, créateur de meubles, dans l'appartement du couple à Paris.

Marine Le Pen a adopté une stratégie dite de "dé-diabolisation" depuis qu'elle a pris les rênes du Front national (devenu RN) puis évincé son père, Jean-Marie Le Pen, condamné pour incitation à la haine raciale en 1988 pour avoir qualifié les chambres à gaz de "point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale".

Elle s'est notamment jointe, en novembre, à la centaine de milliers de personnes qui défilait à Paris pour dénoncer la recrudescence des incidents antisémites depuis la reprise de la guerre entre le Hamas et les forces israéliennes dans la bande de Gaza. Le RN a adopté une position résolument pro-israélienne.

Cette position a permis au parti d'attirer vers lui certains Juifs français, le ralliement le plus remarquable étant celui de Serge Klarsfeld, 88 ans, avocat et militant pour la mémoire de la Shoah, qui a déclaré qu'en cas de second tour entre le RN et la gauche, il voterait pour le RN, qu'il a qualifié de "pro-juif".

Cependant, beaucoup restent sceptiques, comme Alain Fischler, fils de déporté, qui accuse le RN de courtiser les Juifs pour masquer sa stigmatisation des musulmans.

"L'ANTISÉMITISME N'EST PAS RÉSIDUEL"

Maury et Alain Fischler sont tout aussi alarmés par la montée en puissance du "Nouveau Front populaire", une coalition de gauche rassemblée à la hâte pour faire barrage à l'extrême droite, et qui se positionne actuellement à la deuxième place dans les sondages, devant le parti d'Emmanuel Macron.

L'alliance inclut notamment La France insoumise (LFI) qui est accusée par ses détracteurs d'avoir franchi une ligne entre défense de la cause palestinienne et antisémitisme, des accusations démenties par les membres du parti.

"J'ai l'impression d'être entre la peste et le choléra", déplore Maury Fischler, une opticienne âgée de 61 ans.

Le conflit israélo-palestinien était déjà source de tensions en France, où vivent les plus grandes communautés juive et musulmane d'Europe, mais l'annonce des élections anticipées a renforcé les tensions politiques.

Les incidents antisémites, qui vont des insultes au vandalisme et aux agressions physiques, ont augmenté de 300% sur un an au cours du premier trimestre 2024, selon les chiffres publiés par le Premier ministre Gabriel Attal. Le nombre d'incidents visant des musulmans a également augmenté, mais moins fortement.

Au début du mois, le chef de file de LFI, Jean-Luc Mélenchon, a estimé dans une note de blog que l'antisémitisme était "résiduel" en France. Ces propos, s'ajoutant à ceux d'autres membres de son parti ont, selon les critiques, attisé et normalisé la haine anti-juive dans le pays.

Après le viol la semaine dernière d'une jeune fille juive de 12 ans à Courbevoie, qui s'est accompagné d'injures à caractère antisémite, des manifestants ont brandi à Paris des pancartes portant des slogans tels que "L'antisémitisme n'est pas résiduel" et "Vous êtes-vous habitués à l'antisémitisme ? Pas nous".

Pour Sidney Azoulay, venu manifester, les positions de certains partis jettent de l'huile sur le feu.

"C'est une honte qu'en France, au 21e siècle, les juifs fassent encore la une des journaux pour ce genre de raisons."

Jean-Luc Mélenchon, qui a réfuté les accusations d'antisémitisme, a condamné le viol, tout comme l'ensemble de la classe politique, RN compris. Une enquête de police est en cours et trois adolescents ont été arrêtés.

Présent à la manifestation, Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), a appelé les électeurs à se rallier aux valeurs de la République française et à rejeter les deux extrêmes.

"Notre responsabilité, pour l'instant, c'est d'abord de faire que ni la France insoumise, ni le Rassemblement national n'accèdent au pouvoir." (Reportage Elizabeth Pineau ; avec la contribution de Nicolas Coupe ; rédigé par Estelle Shirbon ; version française Augustin Turpin, édité par Blandine Hénault)