* Le Premier ministre libanais a annoncé sa démission le 4 novembre dernier depuis Ryad

* Il n'a fait depuis aucune déclaration publique

* Des sources libanaises pensent que les Saoudiens l'ont jugé inapte à une confrontation avec le Hezbollah chiite

* "Pour les Saoudiens, c'est une bataille existentielle"

par Samia Nakhoul, Laila Bassam et Tom Perry

BEYROUTH, 12 novembre (Reuters) - Dans les minutes qui ont suivi l'atterrissage de son avion, le 3 novembre dernier à Ryad, Saad Hariri a compris que la situation était anormale: aucune délégation de princes saoudiens ou de représentants de ministères n'était là pour l'accueillir et celui qui était encore Premier ministre du Liban pour quelques heures s'est vu confisquer son téléphone.

Selon de multiples sources dans son entourage ou issues des milieux politiques et sécuritaires libanais, le Premier ministre avait été convoqué la veille par téléphone par le royaume saoudien pour une audience avec le roi Salman.

Avant son départ, Saad Hariri a dit à ses conseillers qu'ils reprendraient leurs discussions le lundi suivant et a prévenu son équipe chargée des médias qu'il les verrait au cours du week-end à Charm el Cheikh, station balnéaire égyptienne sur la mer Rouge où il devait rencontrer le président égyptien Abdel Fattah al Sissi en marge d'un Forum mondial de la jeunesse.

"AUCUN RESPECT"

Arrivé à Ryad, il s'est rendu dans la maison qu'il y possède - la famille Hariri a fait fortune en Arabie saoudite et a de longue date plusieurs propriétés. Le lendemain matin, samedi, il a reçu un appel téléphonique d'un membre du protocole saoudien lui demandant de participer à une rencontre avec le prince héritier Mohamed ben Salman, précise une source dans son entourage.

Les Saoudiens, ajoute cette source, l'ont fait patienter quatre heures. Ils lui ont ensuite remis le discours de démission qu'il a fini par lire à la télévision saoudienne.

"A partir du moment où il est arrivé, les Saoudiens n'ont montré aucun respect pour lui", confirme une autre source politique libanaise haut placée.

La démission de Hariri a replacé le Liban en première ligne du conflit que se livrent par alliés interposés la monarchie sunnite des Saoud et la république islamique chiite d'Iran.

De sources proches du chef de gouvernement démissionnaire, on estime que les Saoudiens sont arrivés à la conclusion que le fils de Rafic Hariri, Premier ministre libanais assassiné en 2005, devait laisser sa place parce qu'il n'était pas prêt à aller à la confrontation avec le Hezbollah, le puissant groupe chiite libanais soutenu par l'Iran qui est également actif, au côté de Bachar al Assad, dans le conflit en Syrie.

"LES SAOUDIENS N'ONT PAS AIMÉ CE QU'ILS ONT ENTENDU"

Quelques jours plus tôt, de retour d'un précédent déplacement en Arabie saoudite où il avait notamment rencontré à l'initiative de Mohamed ben Salman, alias "MBS", de hauts responsables du renseignement saoudien ainsi que le ministre chargé des Affaires du Golfe, Thamer al Sabhan, Hariri s'était dit "satisfait et soulagé", rapportent des sources dans son entourage.

Il ajoutait avoir entendu des "déclarations encourageantes" de la part du jeune prince héritier, le nouvel homme fort du royaume saoudien, y compris une promesse de relancer un programme d'aide pour l'armée libanaise.

Hariri, poursuit-on de mêmes sources, pensait avoir convaincu ses interlocuteurs saoudiens de la nécessité de maintenir une entente avec le Hezbollah au nom de la stabilité du Liban.

"Ce qui s'est passé dans ces réunions, c'est qu'il a dévoilé sa position sur la manière de procéder avec le Hezbollah au Liban, à savoir qu'une confrontation déstabiliserait le pays. Je pense que les Saoudiens n'ont pas aimé ce qu'ils ont entendu", dit une source.

"Pour les Saoudiens, c'est une bataille existentielle. C'est du noir et blanc. Nous, au Liban, sommes habitués au gris", ajoute cette source.

A Beyrouth, plusieurs sources précisent que Ryad veut que le flambeau de Saad Hariri à la tête du Courant du futur, son mouvement politique sunnite, soit repris par son frère aîné, Bahaa.

Ce dernier se trouverait lui aussi en Arabie saoudite et des membres de la famille Hariri ont été priés de s'y rendre pour lui prêter allégeance, mais ont refusé, ajoutent des sources.

BEYROUTH RÉCLAME DES ÉCLAIRCISSEMENTS,

MACRON INSISTE SUR LA "LIBERTÉ DE MOUVEMENTS"

L'Arabie saoudite a réfuté les allégations selon lesquelles elle aurait forcé Hariri à démissionner et affirme qu'il jouit d'une totale liberté. Ryad ajoute qu'il a décidé de démissionner parce que c'est désormais le Hezbollah qui tient de fait les rênes du gouvernement de coalition à Beyrouth.

Saad Hariri n'a fait pour sa part aucune déclaration publique depuis qu'il a annoncé sa démission. Il avait alors dit qu'il craignait d'être assassiné et accusait l'Iran et le Hezbollah de semer la discorde dans le monde arabe.

Mais au Liban, le président Michel Aoun, chrétien maronite élu en octobre dernier avec le soutien du Hezbollah, réclame depuis des jours des éclaircissements sur son sort.

Dans un communiqué publié samedi, il dit souhaiter que l'Arabie saoudite "clarifie les raisons empêchant le retour du Premier ministre Hariri". A des diplomates en poste à Beyrouth, il a dit sa certitude que Hariri avait été "enlevé", a rapporté un haut responsable libanais.

A Paris, l'Elysée a annoncé samedi soir qu'Emmanuel Macron recevrait ce mardi le chef de la diplomatie libanaise Gebran Bassil. Le président français, qui a rencontré Mohamed ben Salman jeudi soir à Ryad, s'est entretenu au téléphone avec Michel Aoun le lendemain et a "réitéré son appel à ce que les dirigeants politiques libanais soient libres de leurs mouvements", a poursuivi la présidence française.

A la suite de sa démission, Hariri a été reçu en audience par le roi Salman - des images de leur rencontre ont été diffusées par la télévision saoudienne. Il a ensuite été conduit aux Emirats arabe unis où il a vu le prince héritier Mohamed ben Zayed, principal allié régional de "MBS".

Hariri est ensuite revenu à Ryad où il a reçu des ambassadeurs occidentaux.

Des proches et des politiciens qui l'ont contacté l'ont trouvé nerveux, réticent à dire autre chose que "Je vais bien". Et quand ils lui demandent s'il va revenir au Liban, sa réponse est: "Inch'Allah" (si Dieu le veut).

(avec Ellen Francis à Beyrouth et Marine Pennetier à Paris; Eric Faye et Henri-Pierre André pour le service français)