(Actualisé avec précisions, citations)

par Patricia Zengerle et Yeganeh Torbati

WASHINGTON, 12 janvier (Reuters) - Rex Tillerson, l'ancien PDG du groupe pétrolier ExonMobil choisi par Donald Trump pour être son prochain secrétaire d'Etat, a exprimé mercredi des vues divergentes de celles du président élu, à propos notamment de la prolifération nucléaire, du changement climatique et des relations avec le Mexique.

Interrogé pendant neuf heures par la commission des Affaires étrangères du Sénat, Rex Tillerson, 64 ans, s'est prononcé en faveur du maintien, "dans un premier temps", des sanctions liées au conflit ukrainien, reconnaissant que les membres européens de l'Otan avaient des raisons de s'inquiéter de l'agressivité croissante de Moscou en Europe de l'Est.

La Russie a dominé la séance, compte tenu des inquiétudes des démocrates et des républicains à propos de l'ingérence de Moscou dans l'élection présidentielle américaine alors que Donald Trump a fait connaître sa volonté d'améliorer les relations diplomatiques avec la Russie. La Russie a aussi annexé la Crimée en mars 2014 et a envoyé son armée de l'air combattre en Syrie à l'automne 2015.

Sur la question de l'atome, Tillerson, se démarquant de Trump, a estimé qu'il ne serait pas acceptable, même pour des alliés des Etats-Unis, d'acquérir des armes nucléaires.

Il a également dit ne pas voir la nécessité d'un registre des musulmans, expliquant qu'il n'était pas favorable à ce qu'un groupe particulier soit visé.

Interrogé par le sénateur démocrate Edward Markey sur les commentaires de Trump qui a dit ne pas être opposé à ce que des alliés des Etats-Unis, et notamment le Japon, obtiennent l'arme nucléaire, Tillerson a répondu : "Je ne suis pas d'accord."

Sur le plan commercial, il a dit ne pas être opposé à l'Accord de Partenariat transpacifique (TPP), que Trump a fustigé, tout en estimant que l'accord négocié n'était peut-être pas favorable en totalité aux Etats-Unis.

STATU QUO

Rex Tillerson a laissé la porte ouverte à un éventuel changement de la politique américaine de sanctions contre la Russie, en disant qu'il n'avait pas vu d'informations confidentielles sur une intervention russe.

"Je recommanderais de maintenir le statu quo jusqu'à ce que nous soyons capables d'entamer un dialogue franc et ouvert avec la Russie et de mieux comprendre ses intentions", a-t-il dit.

Il a mis l'intervention russe de 2014 en Ukraine sur le compte d'une "absence leadership" des Etats-Unis qui auraient dû, a-t-il dit, être plus énergiques dans leurs actions visant à dissuader la Russie.

Prié de dire s'il considérait que Vladimir Poutine était au courant des cyberattaques visant les Etats-Unis, le futur chef de la diplomatie américaine a jugé cette hypothèse crédible.

Il a dit ne pas avoir discuté de politique russe avec Donald Trump, ce que le sénateur démocrate Robert Menendez a trouvé "assez étonnant".

Depuis 2011, Rex Tillerson a signé onze partenariats avec Rosneft, la principale compagnie pétrolière russe, et a été décoré en 2013 de l'ordre de l'Amitié par le président Poutine.

A propos de l'intervention russe en Syrie, le républicain Marco Rubio a notamment voulu savoir si Tillerson considérait le président Poutine comme un criminel de guerre, pour l'implication de son armée en Syrie. "Je n'utiliserais pas ce terme", a-t-il répondu. "Il s'agit là d'accusations très, très graves et je souhaiterais avoir beaucoup plus d'informations avant de parvenir à une conclusion.

INCAPACITÉ À DIRE

Marco Rubio, qui s'est présenté contre Trump à la primaire républicaine, a riposté. "On a beaucoup d'informations. Il ne devrait pas être difficile de dire que l'armée de Vladimir Poutine a perpétré des crimes de guerre à Alep", a déclaré le sénateur de Floride en référence à la grande ville syrienne bombardée par l'aviation russe et finalement reprise par le gouvernement syrien.

"Je trouve décourageant votre incapacité à dire ce qui, je pense, est en général accepté", a ajouté Marco Rubio.

Rex Tillerson a refusé de dire s'il soutiendrait la mise en oeuvre des sanctions récemment décidées par Barack Obama en réponse aux piratages imputés à la Russie, qui aurait cherché à favoriser l'élection de Donald Trump.

Tillerson a essayé de contourner les questions liées aux droits de l'homme et s'est refusé à condamner l'Arabie saoudite ou les Philippines, disant qu'il voulait d'abord voir les faits.

Marco Rubio a par la suite déclaré qu'il n'était pas sûr de pouvoir voter la confirmation de Tillerson. Rubio est l'un des 11 républicains sur les 21 membres de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, ce qui fait que son soutien est crucial pour que Tillerson puisse obtenir l'aval de la Commission.

S'il s'est montré conciliant avec Moscou, comme avec le Mexique, un "ami de longue date des Etats-Unis", Rex Tillerson a adopté une ligne plus ferme avec l'Iran, Cuba et la Chine.

Interrogé sur l'accord sur le nucléaire iranien, le futur secrétaire d'Etat s'est dit favorable à ce qu'il soit "totalement passé en revue", sans pour autant aller jusqu'à suggérer que les Etats-Unis pourraient le dénoncer.

Il a affiché son opposition à une levée de l'embargo commercial visant Cuba et s'est interrogé sur la pertinence du retrait de l'île de la liste des pays soutenant le terrorisme, décidé par Barack Obama pour ouvrir la voie au rapprochement spectaculaire entre les deux anciens ennemis.

Mais à l'instar de Donald Trump, c'est surtout à la Chine que Rex Tillerson a réservé ses coups, en estimant notamment que Washington doit l'empêcher de continuer à construire des îlots artificiels en mer de Chine méridionale.

Comparant cette politique à "l'annexion de la Crimée par la Russie", il a ouvert la porte à une politique plus agressive envers Pékin.

"Nous allons devoir envoyer à la Chine le signal clair que d'une, la construction des îles doit s'arrêter, et de deux, nous ne lui permettrons pas d'accéder à ces îles", a-t-il dit.

Interrogé sur les changements climatiques, Rex Tillerson a reconnu que "l'augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère (avaient) un effet". "Nos capacités à prédire cet effet sont très limitées", a-t-il ajouté. (Jean-Philippe Lefief, Tangi Salaün et Danielle Rouquié pour le service français)