"

(Easybourse.com) Pourquoi avez-vous décidé d'investir dans les pays BRIC ?
Le monde évolue rapidement. Si nous regardons ce qui s'est passé en un siècle, l'Argentine, qui était un des pays les plus riches d'Amérique latine, est devenu l'un des plus pauvres principalement à cause de la corruption. Le Cambodge qui était un des pays les plus riches d'Asie est aujourd'hui devenu un des plus pauvres. Cela montre à quel point les choses peuvent changer très rapidement.

Les pays BRIC sont beaucoup plus solides que certains pays européens. Ce sont des pays qui présenteront le moins de problèmes à terme. Je pense que dans les 50 années à venir, nous regarderons différemment les niveaux de développement et peut-être parlerons-nous alors d'«Europe émergente».

Pourquoi avez-vous décidé d'inclure la Corée  dans la dénomination ?
Les pays BRIC sont très présents dans les secteurs des matières premières et de la main-d'oeuvre. En revanche ils sont en retard en matière d'innovation. La Corée, un des pays les plus innovants au monde, constitue la pierre manquante à l'édifice. Ils ont inventé les caractères mobiles (imprimerie) au 12eme siècle, bien avant Gutenberg,  le ceyladon avant les chinois ou les japonais, ils sont les premiers utilisateurs de téléphones 3G, d'écrans à cristaux liquides… Avec l'innovation de la Corée, la main d'œuvre indienne et chinoise et les ressources russes, brésiliennes, la region BRICK n'a rien a envier au reste du monde.
Par ailleurs inclure la Corée permet au fond, au-delà des pays BRIC à proprement parler, de se concentrer sur d'autres pays un peu moins à la mode et moins chers comme la Malaisie, Taiwan, le Mexique, la Turquie...

Quels sont vos principaux critères d'investissement ?
Nous nous concentrons sur les  sociétés où il y a des entrepreneurs talentueux, performants et innovants. Nous allons au-delà de la main-d'oeuvre pas chère par ce que nous pensons que c'est un critère dangereux.

Si nous prenons un pays comme l'Inde, où le domaine de l'outsourcing informatique connaît une pleine explosion, le coût de la main-d'oeuvre indienne commence à augmenter. Ce qui laisse penser que le secteur aura du mal à continuer à performer de cette manière.

Nous donnons plus d'importance au rôle de l'innovation qui est fondamentale pour une société si elle souhaite rester compétitive au niveau mondial.
 
Vous avez donc choisi d'opter pour la diversification sectorielle. Pour autant, y a-t-il des secteurs dans lesquels vous êtes plus présents suivant les pays concernés ? 
Nous n'avons pas d'activités phares sur lesquelles nous attachons un intérêt particulier. Nous pensons qu'il est très dangereux de parler de secteurs dans le cadre d'une stratégie d'investissement. En témoigne ce qui s'est passé avec Internet il y a quelques années.

Pour autant nos critères d'investissement  nous amène à ne pas beaucoup nous intéresser au domaine pétrolier et aux utilities : les sociétés sont plus étatiques qu'entrepreneuriales.

Par ailleurs, au-delà de l'énergie et de la finance qui sont les deux domaines qui constituent principalement l'indice des pays émergents, nous avons beaucoup de secteurs dans l'industrie et la consommation. Ce sont pour la plupart des secteurs qui ne sont pas à la mode, qui ne sont pas chers, et qui présentent un potentiel d'innovation important.

Ainsi, pour mieux résister aux périodes de crise, le fonds sélectionne notamment des sociétés dont le niveau d'endettement reste faible ?
Beaucoup de gérants et d'analystes regardent la dette par rapport à la valeur d'actif. Selon nous, la capitalisation boursière est un meilleur indicateur des futurs profits de l'entreprise. De ce fait, la dette nette de la société doit être inférieure à 50 % de sa capitalisation boursière. Dans de rares cas uniquement, elle peut être supérieure, notamment quand les activités de la société sont stables.

À l'heure actuelle le niveau d'endettement moyen des sociétés qui constituent notre fonds est inferieur a 10% des capitalisation boursières.

L'investissement dans ces pays présente-t-il des spécificités ? Lesquelles ?
Tous les investissements des pays émergeants présentent une spécificité quant à la volatilité. Etrangement, depuis un an les marchés émergents ont eu des baisses moins grandes que les marchés européens notamment en raison de l'abondance des acheteurs (la volatilité de l'indice est d'environ 15 %). Pour autant ce sont des marchés qui sont moins liquides. Dès lors s'il y a de grands achats ou des sorties de capitaux importantes, cela peut faire bouger les choses de manière significative.

Quel est votre avis quant à la suppression des primes de risque concernant les investissements dans ces marchés émergents ?
Je trouve cela normal notamment dans les grands pays que constituent les BRICK. Il est logique que des primes importantes existent dans des pays comme le Venezuela ou la Bolivie dans lesquels il y a des risques de coup d'état ou de nationalisation. Néanmoins, cette prime de risque n'a pas de fondement dans un pays comme la Chine, un des pays les plus puissants du monde et principal financeur de l'économie américaine.

Les risques, que présente un investissement dans ces pays, sont-ils importants ?
L'investissement dans les pays BRIC est en général risqué car une grosse partie de l'investissement est située dans le domaine de l'énergie. Ainsi, si le prix du pétrole venait à baisser fortement, une grande quantité des indices diminuerait et cela aurait un impact non négligeable sur les fonds émergents. C'est ce qui s'est passé notamment en février et mars dernier.

Dans le cas de notre fonds, AXA WF Talents Brick, le fait d'investir dans des secteurs qui ne sont pas des secteurs à la mode nous permet de diversifier nos risques et par conséquent de les amoindrir. La volatilité du fonds est moins élevée que celle de l'indice.

Les pays BRIC présentent-il la même nature de risque ? 
Non. En Amérique latine en général, et notamment au Brésil, le risque est celui d'un soulèvement social. En Chine, le risque est davantage financier et est lié à la bulle des prix des actifs. En Inde, pays très dépendant de l'agriculture, le risque est principalement lié à la pluie, à la mousson. Enfin en Russie le risque se situe dans la fluctuation des prix du pétrole.

Quels sont les mécanismes de garantie du fonds compte tenu de ces risques ?
Nous investissons peu en Amérique latine. En Russie, nous investissons dans des sociétés qui n'ont pour la plupart rien à voir avec le pétrole. En Chine, nous investissons dans des sociétés qui ne sont pas les grandes sociétés de la cote qui sont trop chères.

Notre attention se concentre davantage sur les sociétés de moyenne capitalisation qui ne sont pas tellement suivies par les analystes (Chaoda, qui vend des légumes bio aux japonais et coréens). Enfin en Inde, nous nous intéressons beaucoup aux sociétés internationalisées, telles que Suzlon qui vient de gagner la bataille contre les français pour l'achat de l'allemand Reposera (turbines éoliennes). Au-delà, nous investissons dans des pays qui ne sont pas à la mode et qui ont longtemps été laissé à la traîne.

Quelle est votre perception du développement des marchés financiers de ces pays ?
Je pense qu'en Chine, il y a suffisamment d'argent. Si le pays a décidé de financer les États-Unis plutôt que la retraite ou la protection sociale, c'est une décision politique qui n'a rien à voir avec la finance. Ils veulent rester compétitifs avant tout.

Par ailleurs je pense que le secteur financier en Chine est déjà développé. Les banques sont énormes. Certains acteurs étrangers veulent investir dans le marché mais il n'est pas évident qu'ils y parviendront tous. Le gouvernement n'a aucun intérêt à laisser les banques privées diriger le pays. C'est le seul moyen pour lui de garder le contrôle sur l'économie du pays.

Au-delà des banques, les compagnies d'assurances ont fait de multiples joint-ventures. Il y a déjà énormément de fonds d'investissement. Si le pays laisse entrer d'autres fonds d'investissement, le risque réside dans une augmentation plus importante des actifs et par conséquent une bulle encore plus grande avec au final un éclatement de la bulle.

Qu'en est-il des autres pays ?
En Inde, le principal problème est d'ordre social. Il est lié au problème des castes et du protectionnisme. Le pourcentage de pauvres est resté aussi élevé depuis une quinzaine d'années. Si l'exploitation des masses et la main d'œuvre pas chère a permis des grands profits, malheureusement, c'est un handicap à long terme. Espérons que les choses changent vite.

Je vais vous donner un exemple.  Trois familles contrôlaient la production du sucre indien. Face a la flambée des prix du sucre, ces familles ont souhaité augmenter leurs capacités de production. Elles l'ont fait de manière trop importante par rapport à la production de canne à sucre, qui ne peut être importée car elle doit être transformée moins de huit heures après sa coupe.

Des que le prix de la canne a sucre en Inde a commencé à monter, le gouvernement est intervenu pour fixer le prix de vente de la canne à sucre pour soi-disant protéger les fermiers, mais c'était davantage pour protéger les marges des industriels. Du coup, dans tous les autres pays du monde, les fermiers ont profité de la hausse des prix de la plante sauf en Inde où les fermiers sont restés pauvres.

En Russie, du fait de l'importance de l'énergie, le pays n'a plus réellement de problèmes d'argent. Le secteur financier est essentiellement contrôlé par l'État. Je ne pense pas qu'il y ait à moyen terme une déréglementation du secteur.

Enfin au Brésil le secteur financier est assez libéral, assez ouvert et assez compétitif. Le risque dans le pays est davantage politique. Les prix ont tellement augmenté que les pauvres sont devenus encore plus pauvres.

Propos recueillis par I.H.

- 06 Juillet 2007 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

"