La pandémie du Covid-19 marquera l’histoire

Le musée du Louvre affichait approximativement 10 millions de visiteurs en 2019 avant de s’effondrer sous le coup de massue de la crise sanitaire. Un an plus tard, en 2020, la fréquentation a dévalé brusquement pour atteindre 3,5 millions et remonter, seulement, à 4,75 millions en 2021. Une effondrement inédit de la fréquentation depuis 1945. Mais rappelons tout de même qu’il faut relativiser ces chiffres au vu du contexte sanitaire de ces deux dernières années étant donné que la plupart des sites culturels ont rouvert seulement à la mi-mai 2021. 

Dans un même temps, la fréquentation numérique a explosé pour bon nombre de sites culturels. Par exemple, les sites des monuments du CMN (Centre des monuments nationaux) qui couvrent plus de 100 sites appartenant à l’Etat ont vu, dans l’ensemble, une augmentation de pages vues sur internet progresser de 41% (12 millions) et du nombre de visiteurs uniques de 46% (9,8 millions). De son côté, le Louvre a multiplié par 10, passant de 40 000 à 400 000,  les visites sur son site lors du premier confinement. Si les sites internet appartenant à ces monuments ont explosé, certains ont vu dans ce phénomène une réelle opportunité d’attirer les internautes dans de nouvelles expériences numériques. 

Art et blockchain

Le secteur de la culture cherche depuis des années à s’adapter à l'ère digitale et à engager le public tout en générant des revenus croissants. Le Graal des institutions et des monuments historiques est alors de transformer un visiteur passif en un visiteur engagé qui a la volonté d’accueillir des idées et même, parfois, de contribuer au développement de nouveaux contenus au sein de ces infrastructures. 

L’économie qui tourne autour de la sacro-sainte blockchain peut-elle être une soupape de respiration pour certaines entités étant parfois en détresse financière ? Oui, dans une certaine mesure. Mais d’abord posons-nous les bonnes questions et ne nous jetons pas trop vite corps et âmes dans le réseau tentaculaire des blockchains.

Les institutions culturelles doivent inévitablement s’adapter pour rester pertinentes pour leurs publics actuels et futurs. Intégrer des solutions blockchains dans les arts et la culture implique potentiellement de proposer de nouvelles interactions entre les créateurs, les places de marché et les collectionneurs. Ignorer ces nouvelles technologies serait, à mon sens, se tirer une balle dans le pied alors qu’elles pourraient devenir un modèle commercial non négligeable dans les prochaines années. Prenons des exemples actuels d’organisations qui ont intégré de telles solutions. 

La Dolce Vita à la sauce NFT

Connaissez-vous la Galerie des Offices à Florence ?  Elle abrite la célèbre toile “La Naissance de Vénus” de Botticelli. Durant la pandémie, sa fréquentation est passée de 4,5 millions à un peu plus d' un million de visiteurs, provoquant au passage de lourdes pertes financières. Afin d’essuyer une partie des pertes, le musée s’est lancé dans l’aventure des NFT (actifs numériques uniques basés sur une blockchain). 

Pour rappel, un NFT (Non Fungible Token), est littéralement : un jeton non fongible, autrement dit, tous les NFT ne se valent pas. Ils ne sont pas interchangeables, et au même titre que toutes les œuvres d’arts, ils ne se valent pas. Chaque NFT est différent car unique. 

Vous seul, le propriétaire, pouvez échanger ou vendre votre NFT sur la blockchain. N'importe qui en ligne peut partager une photo d'un tableau célèbre, cela ne signifie pas qu'il en est le propriétaire. La signature permet de montrer que l’on est l’unique possesseur, et encore une fois grâce à la blockchain, tout le monde peut voir que le NFT vous appartient. Par exemple : une réplique du célèbre tableau de La Joconde n’a pas beaucoup de valeur. Ce qui fait que le tableau a de la valeur est bel et bien le consensus autour de la signature de Leonardo De Vinci. Il est aujourd’hui “facile” de copier le tableau en lui-même, mais il est impossible de falsifier son origine.

Revenons-en maintenant à notre célèbre musée italien. Il a vendu un NFT de Doni Tondo de Michaelangelo, qui aurait été acquis par un collectionneur pour la somme de 140 000 euros. 

Le musée a partagé les bénéfices avec la société italienne Cinello qui a breveté numériquement (NFT) l'œuvre d’art en question. Chaque œuvre numérique produite est fournie avec un certificat d’authenticité créé sur la blockchain Ethereum.

Fonctionnement du brevet NFT de la société Cinello

A moyen terme, les ventes de NFT peuvent contribuer aux finances du musée. Ce n’est pas un changement de direction en termes de revenus, c’est plutôt un revenu supplémentaire. Le musée prévoit d’allonger la liste des œuvres numériques disponibles en digitalisant
La Naissance de Vénus, Madonna del Granduca, Bacchus ou encore la Vénus d’Urbino

Notons tout de même que s'il existe uniquement un seul NFT correspondant à chaque tableau de maître, nous pourrions imaginer que les musées en fassent plusieurs éditions afin de dégager des revenus supplémentaires. Par exemple, nous pourrions avoir La Naissance de Vénus en édition limitée de cinq NFT, contre un seul aujourd’hui, chacun représentant le même tableau au format numérique. Mais en revanche cette opération de duplication en plusieurs éditions originales diminuera automatiquement sa valeur car l'œuvre deviendrait moins rare.

Pour les actifs illiquides comme des tableaux exposés, et dont les revenus des musées dépendent, la possibilité de pouvoir commercialiser ces œuvres différemment peut être une autre source de revenu. Clairement, le but, ici, est financier, nous ne pouvons pas dire qu’avec la simple vente de NFT l’engagement des visiteurs soit plus important. Nous attirons dans ce cas, simplement, des collectionneurs qui ont pour but de revendre à un prix supérieur son acquisition digitale. A moins que le collectionneur en question affiche désormais sa pièce de maître numérique dans un metaverse. 

Je suis un musée 

Il devient possible de créer des répliques d'œuvres célèbres sous forme de NFT. Ils ont, pour la plupart, une fonctionnalité un peu spéciale qui permet de récupérer un pourcentage du prix de vente à chaque fois que le NFT est vendu et change de main. Cela permet de s’assurer que si l'œuvre en question devient très populaire et que sa valeur augmente, nous recevons une fraction (un certain pourcentage) de la vente à chaque revente. Cette traçabilité est permise grâce aux caractéristiques de transparence de la blockchain.

Je suis un acheteur / collectionneur 

L'un des avantages évidents de l'achat d'art est qu'il permet de soutenir financièrement les artistes que nous aimons, et c'est vrai avec les NFT. L'achat d'un NFT nous donne également, généralement, des droits d'utilisation de base, comme la possibilité de publier l'image en ligne ou de la définir comme photo de profil sur les réseaux sociaux. Nous pouvons voir également l’aspect financier des NFT qui peuvent fonctionner comme n'importe quel autre actif spéculatif, où nous l'achetons et espérons que sa valeur augmente un jour, afin que nous puissions le vendre avec un profit. 

Probablement que les meilleurs cas d’utilisation des NFT ne sont pas encore connus. Nous pourrions imaginer que, au-delà de l’aspect financier, détenir un NFT d’un artiste ou d’un musée puisse donner certains privilèges : accès à un groupe privé avec les autres détenteurs de NFT d’une certaine collection, accès privés à certains événements, réductions dans certains musées… Tant de pistes à imaginer. Des pistes qui pourraient à la fois permettre à certains sites culturels de dégager des revenus supplémentaires, mais aussi d’attirer et d’engager un peu plus les visiteurs avec de nouvelles expériences. Si l’art est ce qui nous vient directement à l’esprit lorsqu’on parle de NFT, ils sont aussi utilisés dans la musique, dans le metaverse ou encore les jeux vidéo.  

Trop tôt pour l’adoption des NFT ? 

Premièrement, avant qu’une adoption massive se produise, il est nécessaire qu’une grande partie de la population fassent l’expérience de ces technologies. Et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il est indispensable que les utilisateurs fasse l’expérience de créer un NFT ou d’en acheter un. Mais les marchés qui proposent ce type d’interaction avec la blockchain se révèlent être, pour l’heure, un véritable Far West tant qu’aucune régulation claire n’est instaurée. Sans maîtriser parfaitement les concepts sous-jacents des NFT et des marchés qui proposent ce genre de produits, l’aventure s’annonce être financièrement très dangereuse.

Deuxièmement, nous avons besoin de plus de diversité dans la façon dont nous interagissons et nous utilisons ces nouvelles technologies afin qu’elles ne soient pas constamment assimilées à de la spéculation financière, mais qu’elles puissent commencer à résoudre de vrais problèmes, qu’ils soient systémiques ou non. 

A mon sens plusieurs questions doivent être défrichées pour apporter des réponses claires au public afin qu’une adoption potentielle se fasse : 

  • Qu’est-ce qui sous-tend la valeur d’un NFT ?
  • Pourquoi un individu voudrait-il posséder une œuvre numérique ? 
  • Qui sont les acheteurs de NFT ? Des mécènes ou d’obscurs traders d’actifs numériques ? 
  • Comment pouvons-nous prendre connaissance des ventes de NFT des musées et quels sont les canaux qui sont le plus adaptés pour le public concerné ? 

Une chose est sûre, les NFT, qui sont donc virtuels, ne remplaceront jamais d’authentiques œuvres physiques. Lorsque nous parlons de visites virtuelles dans des musées, elles ne remplaceront jamais d’authentiques visites physiques également. Mais ces innovations ouvrent de tout nouveaux modèles commerciaux dans la façon dont nous interagissons avec le contenu numérique. 

De premières expériences metaverses ont eu lieu, en utilisant des NFT, afin de sauver des propriétaires de châteaux, pour qui, payer les factures d’entretien de leurs propriétés vieillissantes deviennent financièrement insoutenables. C’est aussi l’occasion de remodeler, de refaire vivre différemment des récits historiques propres à chaque lieu. Je vous concocte un article où nous explorerons les cas d’utilisation blockchain-nft-metaverse qui ont pour défi de préserver les sites privés et publics d’importance historique. Mais nous ne sommes pas dupes, pour certains, c’est aussi l’occasion de réaliser grassement des profits. A retrouver très vite dans les colonnes de Zonebourse.