* L'élaboration du budget difficile dans une Assemblée fragmentée

* Les partis politiques au défi du compromis

* Les agences de notation inquiètes

par Mark John

10 juillet (Reuters) - Il y a à peine plus d'un mois, la France suscitait déjà de sérieux doutes sur sa capacité à combler son déficit budgétaire. La question est désormais de savoir si elle sera même tout simplement capable de se doter d'un budget, sous le regard inquiet des marchés financiers, de la Commission européenne et de ses partenaires de la zone euro.

La décision totalement inattendue d'Emmanuel Macron d'organiser en toute hâte des élections législatives anticipées a accouché d'une Assemblée nationale fragmentée, au sein de laquelle aucune coalition éventuelle ne semble en mesure de faire adopter un budget, texte marqueur par excellence d'une majorité politique.

La question a été à peine abordée au cours d'une campagne éclair de moins d'un mois, alors que la France dépasse déjà largement les limites autorisées au sein de l'Union européenne en termes de dette et de déficit publics, quand bien même ces dernières ont été assouplies en matière de rythme d'ajustement.

"Il sera difficile pour une Assemblée nationale divisée de s'entendre sur des réductions de dépenses politiquement compliquées", dit Léo Barincou, économiste chez Oxford Economics.

"Cela va mettre la France en contradiction avec les nouvelles règles budgétaires de l'UE", ajoute-t-il.

Les projets budgétaires du gouvernement sortant censés ramener le déficit de 5,5% du produit intérieur brut (PIB) l'an dernier à moins de 3% - le plafond prévu par les textes européens - en 2027 avaient déjà été accueillis avec scepticisme par le Fonds monétaire international ou encore le Haut Conseil des finances publiques, lequel a dénoncé en avril un "manque de crédibilité" dans les prévisions de Bercy.

Ce sont désormais les propositions du Nouveau Front populaire (NFP), la coalition de gauche arrivée en tête des élections législatives, qui éveillent les soupçons de certains économistes, entre hausse du salaire minimum, alourdissement des impôts sur les plus fortunés ou encore abrogation du report de l'âge du départ à la retraite.

LE RISQUE DE LA MOTION DE CENSURE

"Nous sommes la seule formation politique qui a mis des recettes face aux dépenses pour augmenter le pouvoir d'achat", rétorque le député socialiste Boris Vallaud, interrogé par Reuters.

Son collègue de la France insoumise, Eric Coquerel, président de la commission des Finances dans l'Assemblée sortante, appuie : "On a un programme où il n'y a aucune dépense sans recette donc il n'y a pas de raison d'augmenter les déficits, on peut même faire mieux que le gouvernement. Et même on n'a pas intégré dans notre programme des effets d'une augmentation keynésienne qui peut arriver, en termes de cotisations, dans un second temps."

Reste que la gauche pas plus que la droite ni le camp présidentiel centriste ne disposent d'une majorité, loin de là, et semblent bien plus exposés au risque d'une motion de censure que le gouvernement sortant, qui a fait adopter ses textes budgétaires sans vote depuis 2022 via l'article 49.3 de la Constitution.

Si la gauche et la majorité présidentielle sortante, mais pas les Républicains, sont convenus lors des élections de désistements réciproques pour empêcher le Rassemblement national d'accéder au pouvoir, une entente en vue de l'élaboration d'un budget nécessiterait des compromis inhabituels au sein de la vie politique française, entre différents camps aux positions de départ diamétralement opposées.

MARINE LE PEN EN EMBUSCADE

"Il faut répondre aux attentes des Français par la santé de l'économie et par les salaires", dit Eric Woerth, député "macroniste" après avoir été ministre du Budget sous Nicolas Sarkozy. "On aura besoin de se poser la question de la démocratie parlementaire sans compromis avec l'extrémisme de gauche et de droite. Cela prend du temps, il y a besoin de pacification."

"Bienvenue dans la politique des coalitions", commente Nicolas Véron, économiste au centre de réflexion Bruegel à Bruxelles et au Peterson Institute for International Economics à Washington.

"Cela pourrait nécessiter des négociations prolongées et beaucoup d'essais et d'erreurs", ajoute-t-il au sujet de la formation d'un gouvernement.

Alors que la Constitution interdit toute nouvelle dissolution de l'Assemblée nationale d'ici un an, l'incertitude risque de durer.

Emmanuel Macron s'est envolé à Washington pour un sommet de l'Otan sans avoir pris la parole depuis l'annonce des résultats des élections dimanche, hormis pour annoncer via des communiqués qu'il maintenait "pour le moment" le gouvernement de Gabriel Attal et attendait "la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires".

La nouvelle législature débute le 18 juillet puis la vie politique française pourrait être rapidement anesthésiée par les Jeux olympiques de Paris et les vacances du mois d'août.

Quel qu'il soit, le gouvernement devra pourtant soumettre d'ici environ la mi-octobre un projet de budget à la Commission européenne.

Les agences de notation Moody's et S&P Global ont déjà exprimé leurs inquiétudes sur l'évolution des comptes publics de la France et, pour Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo Securities, les investisseurs vont exiger une prime de risque plus élevée pour détenir de la dette française à mesure que la paralysie semble s'installer.

Dans les deux cas, une dégradation des comptes publics ou une politique d'austérité budgétaire pourraient faire le jeu de Marine Le Pen, qui, après avoir caressé l'espoir d'une victoire aux législatives, observe désormais le "bourbier" politique français avec l'élection présidentielle de 2027 en ligne de mire. (Avec Elizabeth Pineau et Michel Rose à Paris, Gavin Jones à Rome, rédigé par Mark John, édité par Blandine Hénault)