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Les analystes jugent la crédibilité de la BCE compromise

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La cacophonie et les changements de message en sont la cause

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Les marchés voient un "pivot" fin 2023

par Francesco Canepa et Balazs Koranyi

FRANCFORT, 23 janvier (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) ne semble plus parvenir à convaincre les investisseurs, d'après les analystes, qu'il s'agisse de faire revoir en hausse ou en baisse leurs anticipations en matière de taux d'intérêt.

Les banques centrales ont souvent eu des difficultés à envoyer des signaux clairs et cohérents aux marchés au cours de ces deux dernières années, qui ont vu l'inflation s'envoler à cause de paramètres imprévisibles, tels les répercussions de la pandémie de COVID-19 et de la guerre en Ukraine.

Mais les difficultés auxquelles fait face la BCE ont été accentuées par les changements constants du message, ont déclaré quatre analystes à Reuters, et de ce que l'un d'entre eux décrit comme une cacophonie parmi les responsables de l'institution.

"Ils ne sont tout simplement pas cohérents dans leur communication et dans l'explication de leur réaction", a commenté Carsten Brzeski, responsable mondial de la macroéconomie chez ING. "Le message ne cesse de changer. C'est pourquoi les marchés les ont lâchés."

Il y a à peine plus d'un an, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, tentait encore de convaincre les investisseurs qu'ils étaient dans le faux en pariant sur une remontée des coûts du crédit, la hausse des prix n'étant que "transitoire" selon le discours émis par la banque centrale.

Mais celle-ci a finalement dû reconnaître que l'accélération de l'inflation était plus persistante, et ce même avant que les forces armées russes lancent une offensive en Ukraine.

Cette prise de conscience tardive lui a fait perdre en crédibilité aux yeux des observateurs, qui doutent désormais lorsque Christine Lagarde affirme que la BCE continuera à relever les taux à un rythme soutenu afin de ramener l'inflation à l'objectif de 2% sur les deux prochaines années. L'inflation dans la zone euro s'est établie à 9,2% en rythme annuel en décembre.

Dans le cadre du Forum économique à Davos, Christine Lagarde a insisté pour que les investisseurs se mettent à "réviser leurs positions".

Mais les analystes estiment que la BCE ne peut s'en prendre qu'à elle-même pour la perte de confiance qu'elle subit.

"Elle fait tout son possible pour communiquer clairement en ce moment, mais elle subit les conséquences de son retard de l'année dernière, et c'est le prix à payer pour avoir changé d'orientation aussi fréquemment qu'elle l'a fait", a déclaré Piet Haines Christiansen, économiste chez Danske Bank.

Sollicitée, la BCE n'a pas souhaité faire de commentaire.

LES MARCHÉS PRÉVOIENT UNE BAISSE DE TAUX EN DÉCEMBRE

Et pourtant, après quelques mois au cours desquels elle a été vivement critiquée pour son inertie, les choses avaient commencé à s'améliorer pour la BCE.

Un resserrement de sa politique monétaire mené tambour battant depuis juillet a permis à l'euro de se stabiliser et aux coûts d'emprunt d'augmenter à l'automne, exactement ce dont la banque centrale avait besoin pour faire refluer l'inflation.

Les incertitudes sur la volonté de la BCE à poursuivre ses efforts plus longtemps ont fait leurs réapparitions en décembre avec les signes de décélération de l'inflation, la perspective d'une récession imminente et l'allusion de Philip Lane, l'économiste en chef de la banque centrale, sur un ralentissement du rythme des hausses de taux d'intérêt.

L'institut d'émission a réagi en laissant clairement entendre, lors de la réunion du 15 décembre, que de nouveaux relèvements seraient nécessaires, mais de 50 points de base chacun au lien des 75 de septembre et octobre.

Les investisseurs sont de nouveau sceptiques compte tenu de la modération de l'inflation et de la possibilité que la Réserve fédérale - qui donne souvent le "la" aux autres banques centrales en raison du statut de première monnaie de réserve du dollar - diminue l'ampleur de ses propres hausses de taux.

Les marchés monétaires prévoient maintenant que le taux de dépôt de la BCE culmine à 3,3% en juillet, contre 3,5% estimé en tout début d'année, avant d'être abaissé en décembre.

LA BCE EN MANQUE DE LEADERSHIP

Des analystes jugent que l'institution de Francfort s'est piégée elle-même lorsque sa présidente a déclaré le mois dernier que les informations disponibles allaient dans le sens d'une hausse de 50 points de base à l'issue "de la prochaine réunion, peut-être après la suivante et peut-être par la suite".

"Avec le genre d'engagement qu'elle a donné, vous perdez votre crédibilité si vous ne vous y tenez pas", a déclaré Dirk Schumacher chez Natixis. "Ce serait un problème pour n'importe quelle banque centrale."

L'économie de la zone euro se portant mieux que prévu, Dirk Schumacher estime que Christine Lagarde devrait revenir sur son engagement de décembre.

La BCE avait pourtant déclaré qu'elle ne ferait plus de telles prévisions publiques - la "forward guidance" dans le jargon monétaire - mais qu'elle prendrait chaque décision sur la base des nouvelles données recueillies.

"La BCE est confrontée à la contradiction de dire qu'elle procédera réunion par réunion tout en s'engageant à plusieurs hausses de taux", a déclaré Frederik Ducrozet, responsable de la recherche macroéconomique chez Pictet Wealth Management.

Pour Piet Haines Christiansen de Danske Bank, l'institution "n'a pas le luxe de changer son point de vue aussi souvent que les marchés", ce qui débouche sur "un bras de fer entre le narratif de la BCE et celui des marchés".

Des sources ont indiqué que les propos de Christine Lagarde en décembre ont été le résultat d'un compromis difficile à trouver entre Philip Lane, partisan d'un hausse de taux d'un demi-point, et de certains membres, comme Isabel Schnabel, qui insistaient sur une augmentation plus marquée.

Ces deux derniers expriment souvent des points de vue différents et Christine Lagarde s'est abstenue de trancher, cherchant plutôt à représenter le consensus du Conseil des gouverneurs.

A contrario, les investisseurs savent qu'un message du président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, peut l'emporter sur les opinions des autres responsables.

Pour Carsten Brzeski d'ING, la BCE manque d'un leader d'opinion clair au sein du Conseil des gouverneurs, capable de guider les marchés comme l'ancien président de la banque centrale, Mario Draghi.

"La cacophonie des voix divergentes et le manque de clarté sur l'identité de celui qui porte la voix directrice continuent de nuire à la BCE", estime-t-il.

VOIR AUSSI: La confiance des salariés de la BCE en leur direction s'érode à cause de l'inflation (Version française Laetitia Volga, édité par Blandine Hénault)