(Répétition sans changement d'une dépêche diffusée vendredi)

* La remontée de l'inflation s'essouffle dans les pays développés

* Dans la foulée, le "reflation trade" a marqué le pas en mars

* Le marché attend une inflation endogène tirée par la croissance

* Le "reflation trade" en suspens jusqu'à l'été, selon des gérants

par Blandine Henault

PARIS, 3 avril (Reuters) - Le retour spectaculaire de l'inflation dans les économies développées devrait s'estomper avec la baisse des cours du pétrole et les investisseurs attendent désormais la confirmation d'une reprise économique mondiale suffisamment solide pour alimenter une hausse des prix durable.

Sur les marchés, l'essoufflement de la thématique d'investissement liée au retour de l'inflation - le "reflation trade" - pourrait ainsi perdurer jusqu'au début de l'été, le temps que les perspectives économiques et d'inflation se précisent, avant de revenir sur la seconde partie de l'année, estiment plusieurs gérants, économistes et analystes.

La publication, vendredi, de la première estimation de l'inflation en zone euro est venue alimenter la méfiance à l'égard du "reflation trade", un mouvement de marché qui a largement favorisé ces derniers mois les actifs les plus à même de profiter du rebond général des prix.

La hausse des prix à la consommation dans l'union monétaire n'a été que de 1,5% sur un an en mars, un chiffre en baisse d'un demi-point par rapport au pic de quatre ans atteint en février et inférieur aux prévisions les plus pessimistes.

Aux Etats-Unis, l'indice d'inflation PCE, très surveillé par la Réserve fédérale (Fed), a progressé de seulement 0,1% sur un mois en février, après une hausse de 0,4% en janvier.

Cette progression ralentie des prix des deux côtés de l'Atlantique s'explique en grande partie par la baisse des cours du pétrole, l'inflation au niveau mondial restant principalement corrélée aux prix de l'or noir.

"Le déclin des cours du brut ce mois-ci a renforcé la perception que la première phase du retour de l'inflation mondiale a atteint son paroxysme", observent les analystes de Kepler Cheuvreux.

Par ailleurs, l'échec de Donald Trump à faire adopter son projet de réforme de l'Obamacare a suscité des craintes sur la capacité du président américain à mettre en oeuvre ses réformes fiscale et de relance économique, potentiellement inflationnistes.

Dans la zone euro, les swaps d'inflation à cinq ans dans cinq ans, une mesure des anticipations de hausse de prix à long terme très suivie par la Banque centrale européenne (BCE), sont retombés à 1,59%, après un pic fin janvier à 1,8%. . Aux Etats-Unis, ces mêmes swaps d'inflation évoluent depuis le début de l'année autour de 2,4%.

L'INFLATION ENDOGÈNE DOIT PRENDRE LE RELAIS

Désormais, l'attention se porte sur l'inflation dite sous-jacente, qui exclut les composantes les plus volatiles comme l'énergie et l'alimentation. Mais en zone euro, son rebond est resté très limité, passant de 0,7% en février 2016 à 0,9% en février 2017, pour revenir à 0,7% en mars.

"La zone euro est sortie de l'ornière 'déflationniste' grâce à une inflation globale plus forte et à la reprise économique, mais elle est loin de jouir d'une dynamique d'inflation durable", prévenaient ces derniers jours les analystes de Barclays.

Pour porter les anticipations d'inflation dans les prochains mois, l'embellie de la conjoncture devra être confirmée. "Pour qu'il y ait de l'inflation, il faut qu'il y ait de la croissance", résume Julien Daire, responsable de la gestion taux et crédit chez CPR AM.

Les investisseurs espèrent qu'une accélération de la croissance économique permettra de générer une "vraie" inflation durable, dite endogène, qui ne serait plus liée uniquement à l'augmentation des prix des matières premières mais alimentée par la hausse des salaires et l'augmentation des prix de vente des entreprises, les effets dits de "second tour" de l'inflation.

Les récents indicateurs avancés sur l'activité ou la confiance des acteurs économiques ont été très encourageants dans les pays développés: aux Etats-Unis, la confiance du consommateur a atteint en mars son meilleur niveau depuis décembre 2000 tandis qu'en zone euro, la croissance de l'activité dans le secteur privé a atteint un pic de six ans.

Mais ces indicateurs subjectifs doivent encore être confortés par des statistiques définitives, comme les chiffres du produit intérieur brut (PIB) au premier trimestre. L'estimation initiale pour les Etats-Unis est attendue le 28 avril, celle pour la zone euro le 3 mai.

DOUTES SUR LA CROISSANCE AU PREMIER TRIMESTRE

Aux Etats-Unis, où l'inflation de base ("core CPI") a atteint 2,2% en février en rythme annuel, les salaires tendent à remonter lentement: ils ont augmenté de 0,2% sur un mois en février et les économistes interrogés par Reuters attendent une progression du même ordre en mars.

"Avec le plein emploi, il n'y a aucune raison pour que cette tendance s'inverse à court terme, d'autant que les mesures attendues de Donald Trump pourraient venir rajouter des tensions sur les salaires", indique Julien Daire, chez CPR AM. Et la Réserve fédérale, dont l'objectif d'inflation est fixé à 2%, est prête à accepter un peu plus d'inflation, ajoute-t-il.

Toutefois, le risque de déception autour de la mise en place de la politique budgétaire et fiscale de l'administration Trump est réel, indiquent dans une note stratégique les économistes d'Aurel BGC. De plus, la croissance des Etats-Unis au premier trimestre pourrait être décevante en raison de la faiblesse de l'investissement des entreprises et de la construction.

"Le scénario du premier trimestre contredit totalement celui de la reflation", soulignent-ils. "L'inflation a rebondi, mais pas la croissance."

En zone euro, où le chômage atteint encore 9,6%, la mise en place d'une inflation endogène est plus précaire. La Banque centrale européenne (BCE) n'est elle-même pas encore convaincue que la remontée de l'inflation sera durable, a rappelé jeudi Peter Praet, l'un des membres de son directoire.

D'après les dernières prévisions de la BCE, l'inflation en zone euro devrait atteindre 1,7% en 2017, puis revenir à 1,6% en 2018 avant de remonter à 1,7% en 2019. De son côté, la Fed prévoit une inflation de base de 1,9% en 2017 et de 2% en 2018.

REPRISE DU "REFLATION TRADE" À L'ÉTÉ

Dans ce contexte, plusieurs gérants et analystes estiment que le thème de la "reflation" sur les marchés pourrait être mis de côté jusqu'au mois de juin, le temps de préciser le diagnostic sur la conjoncture économique mondiale et la solidité de la reprise.

Par ailleurs, les marchés devront, au deuxième trimestre, évacuer une grande partie du risque politique en Europe, avec l'élection présidentielle en France les 23 avril et 7 mai.

Selon Alain Zeitouni, responsable de la multigestion chez Russell Investments France, les marchés d'actions pourraient ainsi corriger globalement de l'ordre de 7% à 10% d'ici juin.

Passé cette période, ajoute-t-il, les investisseurs pourraient accroître à nouveau leur exposition sur les actifs bénéficiaires du retour de l'inflation, comme les valeurs financières et industrielles.

Pour Geoffroy Lenoir, responsable taux souverains euro chez Aviva Investors France, "on devrait avoir sur la seconde partie de l'année, dans une moindre mesure, les mêmes mouvements que l'on a vus sur les marchés de taux lors du dernier trimestre 2016 et du premier trimestre 2017".

Sur les marchés obligataires, les taux devraient remonter en anticipation d'un resserrement monétaire des grandes banques centrales induit par l'amélioration du contexte économique et les pressions inflationnistes.

De fait, les stratégies de "breakeven inflation" - acheter des obligations indexées tout en vendant des taux nominaux de même maturité ? devraient garder le vent en poupe car elles permettent de s'exposer à la remontée des anticipations d'inflation tout en étant immunisé aux variations de taux réels.

(édité par Marc Angrand)