par Huw Jones
LONDRES, 28 février (Reuters) - Un échec du projet de fusion entre le London Stock Exchange (LSE) et Deutsche Börse visant à créer le premier opérateur boursier européen priverait l'Union européenne d'un acteur assez puissant pour concurrencer les grandes plateformes de marché américaines.
L'opérateur de la place londonienne a pratiquement mis fin au projet dimanche en annonçant que l'opération à plus de 28 milliards d'euros ne devrait pas être approuvée par la Commission européenne en raison de son refus de céder sa participation de 60% dans sa plate-forme italienne sur les marchés de taux MTS comme le lui demandaient les autorités de la concurrence.
Pour les entreprises de marché de l'Union européenne, cette
annonce signifie que la perspective de rapprochements permettant
de constituer de grands acteurs capables de rivaliser avec les
géants américains comme InterContinentalExchange
"La politique va finalement empêcher de nouveaux mouvements
sur les marchés financiers européens", a dit Rebecca Healey,
responsable de la stratégie et des structures de marché en
Europe de la plateforme de négociation Liquidnet.
"Les Bourses nationales sont finalement des espèces
protégées."
Le président du directoire de l'opérateur boursier allemand,
Carsten Kengeter, a prévenu qu'un échec de la fusion avec le LSE
affaiblirait Francfort, la première place financière allemande,
la privant d'un "pont" avec Londres, le seule place financière
internationale en Europe.
Deutsche Börse pourrait se trouver privé d'un accès
privilégié à la City une fois intervenue la sortie du
Royaume-Uni de l'Union européenne. En revanche, le LSE ne sera
pas totalement coupé du continent européen même si Londres ne
parvient pas à négocier le maintien de l'accès aux marchés
financiers de l'UE après le Brexit.
La Bourse londonienne détient en effet une chambre de
compensation à Paris, sa plateforme MTS en Italie et ses
chambres de compensation et de règlement, qui lui assurent une
base solide sur le continent. UN RETOUR DE L'ICE ?
Le LSE pourrait aussi devenir une cible pour l'ICE, le CME
ou le Nasdaq, même après le Brexit dont les Britanniques ont
approuvé le principe par référendum en juin dernier.
Si d'éventuelles approches de ce type risquent de susciter
les mêmes réflexes nationalistes que ceux qui ont plombé les
discussions avec Deutsche Börse, Londres pourrait se montrer
plus ouverte à une opération dans un contexte où la Première
ministre britannique, Thérésa May, cherche à resserrer les liens
commerciaux avec les Etats-Unis.
Un rapprochement avec un opérateur américain créerait une
formidable passerelle et renforcerait les liens de Londres avec
le premier marché financier mondial sur lequel Deutsche Börse a
enregistré des résultats mitigés. L'opérateur allemand a dû
céder son activité sur les options aux Etats-Unis, ISE, au
Nasdaq.
Pour Steve Grob, directeur de la stratégie de Fidessa, un
fournisseur de solutions technologiques pour les opérateurs de
marché, la chute de la livre depuis le vote en faveur du Brexit
pourrait pousser l'ICE à réexaminer une offre sur le LSE.
"Ce serait très difficile pour l'ICE de revenir à la charge.
Il serait confronté aux mêmes complications", estime Larry Tabb,
qui dirige le cabinet de consultants TABB, spécialisé sur les
plateformes de négociation.
L'ICE a pris le contrôle de NYSE Euronext mais a scindé sa
plateforme de négociation sur actions Euronext et conservé sa
plateforme de dérivés, basée à Londres. Il détient aussi le New
York Stock Exchange et les autorités européennes de la
concurrence exigeraient vraisemblablement des désinvestissements
avant de donner leur feu vert à un rapprochement.
ICE s'est refusé à tout commentaire mais a rappelé les
propos tenus par son directeur général lors d'une téléconférence
avec des analystes , le 7 février : "Je m'attends à ce que notre
intérêt pour de telles opérations de fusions et acquisitions se
porte sur des transactions de taille plus petite et
complémentaires plutôt que sur les grandes opérations des
dernières années, du fait de notre confiance dans le potentiel
de croissance de la plateforme dont nous disposons aujourd'hui."
Un rapprochement entre le Nasdaq et le LSE pourrait être
plus facilement approuvé par les autorités européennes de la
concurrence a dit Tabb.
Le Brexit soumet aussi le LSE à de réels défis en raison
notamment de la pression qu'il va faire peser sur les banques
installées à Londres, qui sont ses principaux donneurs d'ordres,
pour redéployer une partie de leurs opérations de trading sur le
continent afin de s'assurer l'accès à leurs clients au sein de
l'UE. Cela pourra peser sur la valorisation du LSE.
Ce dernier doit aussi assurer la bonne intégration de
certaines de ses récentes acquisitions comme le promoteur
d'indices boursiers Russell, soulignent des analystes.
L'avenir est aussi très incertain à Francfort.
Un rapprochement avec d'autres Bourses européennes comme
Euronext ou la Bourse de Madrid ne permettrait pas de
créer un acteur de stature mondiale à même de rivaliser avec
l'ICE, le CME ou certaines Bourses asiatiques.
"Personne en Allemagne n'a de plan B en cas d'échec de la
fusion. Ce n'est pas pour cela qu'il ne se passera rien", a dit
Dirck Schiereck de l'Université de Darmstadt qui a réalisé une
étude sur la fusion LSE-Deutsche Börse.
"L'un des très rares partenaires de rechange pour Francfort
est la Chine."
Pour Patrick Young, un consultant spécialisé sur le secteur
des entreprises de marché, l'idée même de constitution d'un
champion européen dans le domaine présente de sérieuses lacunes.
"Les Bourses européennes sont multidimensionnelles et à des
stades de développements très différents. La concentration
intra-européenne va être très difficile soit parce qu'elle va se
heurter à des obstacles concurrentiels, soit parce qu'elle va
concerner des acteurs trop petits pour que ce soit
enthousiasmant."
(avec Andreas Kroener et John O'Donnell à Francfort, Marc
Joanny pour le service français, édité par Juliette Rouillon)