par Idrees Ali, Patricia Zengerle et Jonathan Landay

WASHINGTON, 19 août (Reuters) - Il y a près d'un mois, le ministère afghan de la Défense publiait sur les réseaux sociaux des photos de sept nouveaux hélicoptères livrés dans la capitale Kaboul par les Etats-Unis.

Dans la foulée, à Washington, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, déclarait devant les journalistes que les Afghans continueraient de recevoir "à rythme constant" ce "type de soutien".

Mais en quelques semaines, les insurgés taliban ont pris le contrôle d'une grande partie du pays, et donc de toutes les armes et équipements militaires abandonnés par les forces de sécurité afghanes lors de leur fuite.

Sur des vidéos, on a pu voir des combattants islamistes inspecter de longues lignes de véhicules et ouvrir des caisses remplies d'armes, d'équipements de communication et même de drones militaires.

"Tout ce qui n'a pas été détruit appartient désormais aux taliban", a déclaré à Reuters un représentant américain s'exprimant sous couvert d'anonymat.

D'anciens et actuels représentants américains ont exprimé leur crainte de voir ces armes utilisées contre des civils, récupérées par d'autres groupes tels que l'Etat islamique (EI) pour attaquer des intérêts américains dans la région, voire données à des puissances rivales comme la Chine et la Russie.

L'administration du président américain Joe Biden est si préoccupée par ces armes qu'elle étudie plusieurs options.

Selon des représentants, le lancement d'offensives aériennes contre les équipements les plus massifs, tels que les hélicoptères, est envisagé mais la réflexion au cours doit prendre en compte le risque d'alimenter les tensions avec les taliban.

Un autre représentant américain a déclaré que, d'après les analyses des services du renseignement, qui ne sont pas définitives, les taliban auraient récupéré plus de 2.000 véhicules blindés et jusqu'à 40 appareils aériens, dont des hélicoptères UH-60 Black Hawk et des drones militaires ScanEagle.

"Nous avons déjà vu des combattants taliban équipés d'armes fabriquées aux Etats-Unis qu'ils ont prises aux troupes afghanes. Cela représente une menace sérieuse pour les Etats-Unis et nos alliés", a déclaré à Reuters par courriel Michael McCaul, élu républicain siégeant à la commission des Affaires étrangères de la Chambre américaine des représentants.

"TROPHÉES"

La vitesse à laquelle les taliban ont mené leurs offensives à travers l'Afghanistan rappelle celle à laquelle les combattants du groupe Etat islamique ont récupéré en 2014 les armes fournies aux forces gouvernementales irakiennes par les Etats-Unis.

Entre 2002 et 2017, les Etats-Unis auraient, selon les estimations, donné à l'armée afghane pour 28 milliards de dollars d'équipements militaires comme des armes de poing, des roquettes, des lunettes de vision nocturne et des drones d'observation.

Les symboles les plus visibles de l'aide américaine à Kaboul restent toutefois les appareils tels que les hélicoptères Blackhawk, censés constituer l'atout majeur de l'armée afghane dans sa lutte contre les taliban. Selon des données gouvernementales américaines, 208 appareils ont été livrés par les Etats-Unis aux forces afghanes entre 2003 et 2016.

Au cours de la semaine écoulée, nombre de ces appareils ont été utilisés par des pilotes de l'armée afghane pour fuir le pays et l'avancée des taliban. L'un des représentants américains a déclaré qu'entre 40 et 50 appareils avaient été utilisés pour rejoindre l'Ouzbékistan.

Malgré les inquiétudes sur l'accès des taliban à ces hélicoptères, d'anciens et d'actuels représentants ont souligné que les appareils nécessitaient de fréquentes opérations de maintenance et étaient difficiles à maîtriser sans la formation adéquate.

Pour Joseph Votel, général à la retraite qui a supervisé de 2016 à 2019 les opérations militaires américaines en Afghanistan, la plupart des équipements récupérés par les taliban, ne sont pas équipés de technologies sensibles. "Dans certains cas, ce sont davantage des trophées", a-t-il dit.

Certains équipements plus faciles à utiliser, comme les lunettes à vision nocturne, dont Washington a fourni 16.000 exemplaires à l'armée afghane depuis 2003, suscitent toutefois l'inquiétude.

"La capacité à opérer de nuit change vraiment la donne", a déclaré à Reuters un assistant parlementaire du Congrès américain.

Joseph Votel et d'autres ont estimé que ces armes et autres équipements à taille réduite pourraient offrir aux taliban un avantage dans la lutte contre toute révolte susceptible d'éclater dans des bastions traditionnellement hostiles au mouvement islamiste. (Reportage Idrees Ali, Patricia Zengerle et Jonathan Landay, avec Michael Martina; version française Jean Terzian, édité par Marc Angrand)