AerCap met à disposition de ses clients des petits, moyens et gros porteurs, des cargos, mais aussi hélicoptères et des moteurs d'avions (pièces extrêmement coûteuses à l'entretien qui se louent individuellement et se montent ou se démontent en fonction des besoins). Sa flotte compte 3 700 appareils, dont 355 hélicoptères, qui affichent une durée de vie moyenne de 7 ans (plutôt dans le haut du panier), ainsi que 900 moteurs. Si le loueur équipe 300 compagnies dans 80 pays, trois d’entre elles représentent à elles-seules un cinquième du chiffre d'affaires : Air France (pour 5% des revenus), puis American Airlines et China Southern (15% à eux deux). 

Le groupe est détenu à 46% par l’américain GE, premier fabricant mondial de moteurs pour l'aviation civile loin devant le britannique Rolls-Royce, qui s'assure ainsi d'un débouché commercial permanent.

Un ciel clément et une gestion favorable 

L'industrie dans laquelle évolue AerCap est oligopolistique, résiliente et dispose d'insurmontables barrières à l'entrée. Cependant, la rentabilité des actifs reste structurellement limitée, car si les compagnies aériennes ont un intérêt évident à louer une large partie de leurs flottes — afin de diminuer leurs structures de coûts fixes déjà considérables — elles ne sont pas non plus enclines à concéder au loueur une captation trop importante de la valeur économique des actifs : un point d'équilibre doit donc être trouvé.

AerCap est un groupe à la gestion, dans l'ensemble, remarquablement bien inspirée : il a agrandi sa flotte via deux opérations de croissance externe parfaitement bien exécutées, chaque fois avec un timing idéal. En 2013, il a fait l'acquisition de ILFC lorsque AIG s'en est séparé suite à sa banqueroute de 2008, puis, fin 2021, il s’est emparé de GECAS (General Electric Capital Aviation Services) durant la restructuration douloureuse de GE, menée par Larry Culp. Ces deux acquisitions ont été pilotées dans un contexte de crise, ce qui conférait aux cibles des valorisations intéressantes, et sont le signe d’une croissance prudente et raisonnée.

 

Sur la dernière décennie, ces opérations ont permis à AerCap de multiplier son chiffre d'affaires par 4 et son profit comptable par dix. Du côté des cash-flows, l'activité est bien sûr hyper capitalistique mais la dynamique est positive depuis l'acquisition d'ILFC. Sur le cycle complet (2011-2021) Aercap génère ainsi 6 milliards de dollars de free cash-flow, retournés dans leur quasi intégralité aux actionnaires via des rachats d'actions. Cette allocation du capital fait davantage de sens que de distribuer des dividendes, car AerCap est structurellement décotée à cause de son levier financier considérable.

Une rentabilité à l’épreuve des temps orageux

Pour la suite, il est difficile d'estimer la capacité bénéficiaire réelle de la société, à cause des distorsions liées à la pandémie et à l'acquisition de GECAS. Mais il semble raisonnable de projeter un profit d'au moins 2 ou 2.5 milliards de dollars dès cette année, et de 3 à 4 milliards de dollars dans un avenir très proche. La capitalisation boursière actuelle gravite sous les 10 milliards, donc entre x3 et x5 les profits.

On peut aussi (pour les amateurs de trading et de momentum) tabler sur une hausse des tarifs de location au fil des prochains trimestres. En effet, durant la pandémie, Boeing et Airbus ont partiellement mis leurs chaînes de montage à l'arrêt, si bien que toutes les livraisons de nouveaux appareils sont retardées. Dans un contexte où la demande explose — en particulier en ce moment avec l'ouverture de la saison d'été — une possible hausse des tarifs est donc envisageable.

A noter, la décote structurelle de 30% sur les capitaux propres qui persiste tout au long du cycle, alors même que l'entreprise présente un historique de profitabilité satisfaisant et un ROE normalisé de 10% par an. Sur le papier, l'action apparaît donc très abordable et l'allocation du capital, 100% orientée vers les rachats d'actions, fait parfaitement sens.

 

Il faut toutefois garder en tête que le groupe fait face à un endettement considérable (40 milliards de dollars de dette nette). On pourra par conséquent préférer se reporter à la valeur d'entreprise (soit capitalisation boursière + dettes à long terme) et là, bien sûr, la valorisation apparaît moins attractive.

En réalité, quiconque investit dans AerCap fait le pari que l'entreprise n'aura jamais aucun mal à refinancer sa dette, ce qui, en soi, est une hypothèse raisonnable vu la nature stratégique de ses actifs et la résilience de ses activités, sauf en cas de scénario extrême, de type nouvelle pandémie ou guerre mondiale, bien sûr. Par ailleurs, il est pertinent de relever que même en pleine pandémie, AerCap est resté profitable avec toute la liquidité nécessaire à disposition. Un "stress test" passé avec succès !

Le risque de refinancement du groupe est par ailleurs limité. Si l'actionnaire de référence, General Electric, n'est pas dans la position financière la plus confortable qui soit, il reste un partenaire solide doté de poches profondes.

Feuille de route dégagée 

L’actuelle remontée des taux d'intérêt ne devrait pas porter un sérieux préjudice à la société, car, historiquement, les tarifs de location sont justement indexés sur les taux d'intérêt. La perception du marché, selon laquelle il faudrait se séparer des entreprises endettées depuis les annonces de remontée de taux de la FED, est donc peut-être erronée. 

Un investissement dans AerCap n’est donc pas nécessairement absurde, mais il est réservé à un public averti : il faut accepter de digérer un levier considérable... et un certain impondérable macro-économique, comme la confiscation récente des appareils du groupe stationnés en Russie.