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(Easybourse.com) La capacité du système financier à satisfaire les besoins de financement à long terme risque de se restreindre…
Nous avons mis le système sous perfusion et substitué de la monnaie publique à la monnaie privée qui s'était retirée et nous avons entrepris un effort massif pour mettre le système sous contrôle. On voudrait que la perfusion, qui soutient l'économie, soit temporaire, et que la mise sous contrôle, qui peut la brider, soit durable : la sortie de crise est donc un exercice délicat.
D'autant plus que nous ne sommes pas dans une phase innocente du cycle économique. Nous faisons face à un relatif changement de modèle planétaire dans lequel les besoins de financement à long terme vont être considérables, les besoins d'innovation et de recherches également. 
Nous devons à mon sens nous inquiéter de constater que face à des besoins qui explosent, la capacité du système financier à les satisfaire risque de se restreindre.
Le système financier n'est jamais qu'une grande lessiveuse qui consiste à collecter de l'argent en le laissant aussi disponible que possible pour les épargnants, tout en fabriquant avec de l'investissement à long terme, indispensable par destination.

Les PME risquent de fortement souffrir ?
Avec Bâle II, je crains qu'en raison de la concentration des bilans sur les clients qui offrent le meilleur profil et compte tenu des montants significatifs de financement dont le monde des corporates aura besoin à partir de 2010,  nous ne rencontrions de sérieuses difficultés.

Qu'entendez-vous ?
Une restriction des capacités de financement bancaire et un renchérissement durable de ces capacités.

Quelles réponses peuvent être apportées ?
Il faut que l'épargne longue aille sur l'investissement de long terme. Or les contraintes imposées aux investisseurs institutionnels incitent à transformer de l'épargne longue en liquidité.
Même l'assurance vie, du fait de la crise et de la baisse des taux, risque de se transformer en outil instable, susceptible se subir des retraits significatifs en cas de remontée des taux longs.
Nous devons nous interroger sur le fait de savoir si nous ne sommes pas en train de créer d'importants contresens dans la gestion actif-passif globale de notre système financier.

Il faut par ailleurs de véritables marchés…
Je suis frappé de constater que la crise est largement le produit de la création de faux marchés. Un seul marché a relativement bien fonctionné pendant les turbulences même s'il a beaucoup baissé, c'est le marché des actions.
Au-delà, on a fabriqué un certain nombre d'instruments financiers, en faisant semblant de croire qu'ils correspondaient à des marchés liquides pour leur appliquer des ratios de VAR dans les banques qui réduisaient anormalement les exigences de fonds propres. On s'en est rendu compte lorsque les choses se sont compliquées et  que ces instruments se sont révélés illiquides.
La fabrication de vrais marchés de dette ou, pour les plus petits projets, de caisses de refinancement qui peuvent émettre des souches très liquides, est fondamentale pour l'avenir.

Une cohabitation entre le public et le privé est souhaitable…
Il faut rechercher de quelle manière il est possible d'optimiser l'alliance entre l'investissement privé qui doit prendre du risque et les institutions publiques qui doivent à la fois soutenir les grands projets du futur, et faciliter la liquidité des instruments financiers correspondants.

Vous émettez des réserves sur la création d'un grand système unique financier international. Pourquoi ?
L'harmonisation est importante, mais elle n'est pas un argument pour l'inaction. Si des pays et des institutions ont mieux résisté à la crise que d'autres c'est en raison de l'existence de règles de bon sens qui étaient décalées par rapport aux règles globales du système financier anglo saxon. Si l'Espagne en dépit d'une forte dégradation de son économie a vu ses établissements bancaires survivre convenablement, c'est grâce à la mise en œuvre en interne de règles spécifiques en particulier concernant le provisionnement dynamique. Le marché hypothécaire a très bien tenu en France notamment parce qu'il ne fonctionne pas du tout comme le marché hypothécaire anglais…
Il faut donc veiller au préalable à définir en amont ce qu'il est bon de faire ensemble. C'est à l'échelle de l'Europe que l'unicité du marché financier est très importante si nous voulons éviter que le pouvoir de décision nous échappe.

Il faut revenir à une relation véritable entre l'épargnant et son investissement…
Une place est compétitive si elle finance bien l'économie et qu'elle protège les épargnants. Il faut que ces derniers, et donc les institutions qui gèrent notre épargne longue, reprennent, en quelque sorte, le pouvoir.
Les investisseurs institutionnels ont beaucoup délégué leurs pouvoirs aux gérants. De ce fait ils se sont trop distanciés de l'investissement économique sous-jacent, se concentrant sur le triptyque liquidité, risque, rendement. Les conseils d'administration  se soucient moins, a l'occasion d'une opération financière, de ce que va penser le marché anonyme que de ce que pensent les actionnaires réels, «en chair et en os», de l'entreprise.
Tous les instruments qui existaient pour récompenser la loyauté des actionnaires ont été, par exemple, relégués au second plan.

Du coté des particuliers, il y a un conflit d'intérêt entre le conseil indépendant délivré à l'épargnant et la production de revenus financiers. La résistance à l'organisation de grands marchés liquides s'explique largement par leur moindre rentabilité pour les intermédiaires financiers. Il faut que l'intérêt commun global du système financier reprenne ses droits et que les professionnels suivent.

Propos retranscrits par Imen Hazgui
Ce texte constitue le verbatim de l'intervention de Charles-Henri Filippi à l'occasion de la sixième édition des entretiens de l'Autorité des marchés qui s'est tenue le 16 décembre dernier.
Il a été validé par l'interlocuteur

- 08 Janvier 2010 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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