Pékin (awp/afp) - Après le Parti communiste, le football ou encore les responsables des missiles nucléaires, la campagne anticorruption du président chinois Xi Jinping cible la finance, au risque d'ébranler un secteur déjà fragilisé par le ralentissement économique.

Depuis son arrivée au sommet du pouvoir il y a une décennie, M. Xi affiche sa volonté de lutter contre la corruption, parfois profondément enracinée dans l'administration et les entreprises étatiques du pays.

Quelque 4,8 millions de personnes ont déjà été sanctionnées lors de cette campagne, selon un article publié en 2022 par le quotidien officiel Global Times.

Le nombre d'enquêtes sur des hauts fonctionnaires, du moins celles rendues publiques, a par ailleurs augmenté de 40% en 2023 par rapport à l'année précédente, selon un décompte du quotidien hongkongais South China Morning Post (SCMP).

Xi Jinping a récemment appelé à éradiquer les malversations dans la finance, la banque et les entreprises publiques. Un secteur déjà affaibli par la crise dans l'immobilier, la forte dette des collectivités locales et la consommation atone des ménages.

"Xi Jinping ne considère pas la stabilité économique comme une préoccupation majeure", juge Alex Payette, PDG de Cercius Group, un cabinet de conseil basé au Canada.

Et cela "en dépit du fait que le parti (communiste) s'appuie en grande partie sur la croissance et le développement pour garder sous contrôle les doléances (des Chinois) et obtenir (leur) soutien", souligne-t-il.

Selon lui, Xi Jinping cible certains pans cruciaux de l'économie afin notamment de les placer sous le total contrôle du Parti communiste chinois (PCC).

"Menace"

Le président chinois ne voit "aucune contradiction" dans le fait de lancer une campagne anticorruption susceptible d'ébranler le secteur financier et, en même temps, de vouloir assurer la relance économique du pays, déclare Victor Shih, professeur à l'université de Californie à San Diego.

"Il aimerait que les hauts fonctionnaires se comportent toujours de manière irréprochable et soient efficaces (mais) il a réduit les salaires et les avantages de la majorité d'entre eux" ce qui peut potentiellement "les inciter à aller vers la corruption", affirme M. Shih à l'AFP.

Xi Jinping a appelé début janvier à "redoubler" d'efforts contre la corruption, arguant que "la situation reste grave et complexe" dans ce domaine.

Les partisans de cette campagne affirment qu'elle promeut une gouvernance propre. Ses détracteurs estiment qu'elle permet à M. Xi de se débarrasser d'opposants politiques.

Ces dernières semaines, d'ex-responsables de banques publiques, de l'autorité de régulation bancaire ou encore d'entreprises publiques du secteur du pétrole et du tabac sont tombés pour corruption.

Le fait que le secteur financier soit dans le collimateur peut s'expliquer par deux raisons, selon Andrew Wedeman, professeur à l'université d'Etat de Géorgie, spécialiste de la campagne anticorruption chinoise.

Cette répression est lancée soit en raison "d'une malversation généralisée dans ces secteurs" soit parce que "Xi Jinping pense que ces secteurs devenaient trop indépendants et donc constituaient une menace pour son pouvoir", estime-t-il.

Pots-de-vin et calligraphie

La divulgation quasi-hebdomadaire d'affaires peu reluisantes, certaines avec moult détails, permet également d'apaiser l'opinion qui estime que "de très nombreux bureaucrates" ne servent "en fait que leurs propres intérêts", souligne Vivienne Shue, professeure à l'Université d'Oxford (Angleterre).

En rapportant l'arrestation ce mois-ci de Tang Shuangning, un ex-président du géant bancaire étatique Everbright, les médias ont ainsi souligné qu'il était accusé d'avoir utilisé son pouvoir pour voyager aux frais de son entreprise, accepter des pots-de-vin ou encore promouvoir ses oeuvres de calligraphie.

La télévision publique CCTV a également publié les aveux d'anciens dirigeants, comme l'ex-sélectionneur national de l'équipe de football Li Tie. Des confessions lors desquelles il a reconnu avoir aidé à truquer des matchs et versé plusieurs centaines de milliers d'euros pour obtenir son poste.

Pour Andrew Wedeman, le professeur à l'université d'Etat de Géorgie, la campagne anticorruption chinoise "ressemble à la guerre menée par les Américains au Vietnam: le nombre de victimes ne cesse d'augmenter, mais on ne voit jamais le bout du tunnel".

Cette situation devrait perdurer jusqu'à la fin du mandat de Xi Jinping, selon M. Wedeman pour qui il "ne peut pas se permettre de perdre".

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