(Actualisé avec déclarations de Kuczynski)

par Mariana Bazo et Teresa Cespedes

LIMA, 26 décembre (Reuters) - Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski a tenté de justifier lundi soir la grâce qu'il a accordée à Alberto Fujimori, appelant ses compatriotes à "tourner la page" du passé.

La libération de l'ancien chef d'Etat, condamné à 25 ans de prison pour corruption et crimes contre les droits de l'homme, a provoqué la colère d'une partie des Péruviens.

Pour la deuxième journée consécutive, plusieurs centaines d'entre eux ont manifesté lundi dans le centre de Lima, la capitale, où les tensions étaient vives. Certains brandissaient les portraits de victimes de la répression enclenchée par Fujimori au cours de ses années de pouvoir (1990-2000), d'autres réclamaient la démission de Kuczynski. Les forces de l'ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes pour les disperser.

Sur le plan politique, un troisième député élu du parti de Kuczynski, le PPK (Péruviens pour le changement), a annoncé lundi qu'il quittait le parti présidentiel. De source gouvernementale, on indique que le ministre adjoint aux Droits de l'homme a également démissionné.

Kuczynski, qui ne s'était pas encore exprimé publiquement depuis qu'il a accordé sa grâce à Fujimori à la veille de Noël, a pris la parole dans la soirée à la télévision, soulignant que sa décision relevait d'un acte de clémence à l'égard d'un homme malade âgé de 79 ans.

"La justice n'est pas la vengeance. Par essence, chaque pardon est controversé et il y a un groupe important de Péruviens qui s'y opposent, ma décision est particulièrement complexe et difficile, mais c'est ma décision", a-t-il dit ajoutant qu'il était exclu de laisser Fujimori mourir en prison.

Mais il a également dressé pour la première fois depuis son élection, au printemps 2016, un bilan partiellement positif de l'action de Fujimori à la tête du pays.

"Il est clair que son gouvernement, qui avait hérité d'un pays submergé par une crise violente et chaotique au début des années 1990, s'est engagé dans des transgressions juridiques significatives concernant la démocratie et les droits de l'homme. Mais je pense aussi que son gouvernement a contribué au progrès de la nation", a-t-il dit.

Fujimori est une figure controversée de l'histoire récente du Pérou. Certains le considèrent comme un dirigeant corrompu ayant mis sur pied des escadrons de la mort; d'autres le créditent d'avoir rétabli la stabilité économique et mis fin à l'insurrection sanglante des maoïstes du Sentier lumineux.

Lors de sa campagne électorale victorieuse face à Keiko Fujimori, la fille de l'ancien président, Kuczynski avait promis de ne pas lui accorder sa grâce.

Ses opposants affirment que la libération de Fujimori est la contrepartie négociée par Kuczynski avec une faction des élus du parti Force populaire, de Keiko Fujimori, en échange de leur abstention lors du vote, la semaine dernière, d'une motion de destitution parlementaire le visant.

Dix députés du parti, dont le fils de Fujimori, Kenji, se sont abstenus, faisant basculer l'issue du vote.

"Cette grâce est pour le président Kuczynski, elle n'est pas pour Fujimori", a accusé lundi la députée de gauche Marisa Glave. (Nicolas Delame et Henri-Pierre André pour le service français)