(Répétition sans changement d'une dépêche transmise dimanche)

par David Randall

NEW YORK, 5 février (Reuters) - Pendant près de neuf ans, l'investisseur à l'affût de rendements n'avait comme seul terrain de chasse que le marché boursier.

Mais Wall Street a subi vendredi son revers le plus cinglant depuis septembre 2016, soit avant l'élection du président Donald Trump, parce que la statistique mensuelle de l'emploi aux Etats-Unis a montré une croissance des salaires d'une ampleur sans précédent depuis 2009.

Cela a convaincu les investisseurs que la menace inflationniste, tenue à l'écart depuis la récession de 2007-2009, se manifestait à nouveau, et les rendements obligataires sont montés en flèche.

La crise financière a poussé les banques centrales à prendre des mesures de soutien à l'économie exceptionnelles, faisant tomber les taux d'intérêt à des plus bas records et raréfiant les actifs les plus sûrs tels que les Treasuries, au point que les investisseurs n'avaient guère d'autre ressource que de se tourner vers les actions.

Mais la remontée discrète des taux américains depuis plusieurs mois s'est faite tonitruante cette semaine et les investisseurs ont pris conscience d'un nouveau fait: l'action n'est plus la seule source de rendement.

"L'un des credos du marché 'bull' était que les actions sont bon marché au regard des obligations, mais les obligations deviennent moins chères, surtout à l'altitude où nous sommes", constate Michael O'Rourke, stratège en chef de JonesTrading. "C'est pourquoi on prend son bénéfice et c'est sans doute bien vu".

Le rendement de l'emprunt d'Etat US à 10 ans étant en passe de dépasser les 3,5% cette année, pour la première fois depuis avril 2011, les obligations, jugées pratiquement sans risque, redeviennent très intéressantes pour l'investisseur sevré de retours juteux.

Au PER actuel de 18,2, suivant les données de Thomson Reuters, le rendement de l'indice S&P-500 est de 5,5%, bien en dejà de la norme historique tournant autour de 6,7%. Dans la mesure où les rendements obligataires augmentent sur l'ensemble de la courbe, les 5,5 cents de profits en moyenne pour chaque dollar de cours d'une action type commencent à souffrir de la comparaison.

"Il n'y a pas de seuil bien défini mais le papier US à 10 ans qui approche des 3% redevient bien plus attrayant", dit Mike Dowdall, gérant de BMO Global Asset Management.

SIGNAL VENDEUR

Alors même que la Bourse alignait pratiquement des records quotidiennement, des professionnels ne manquaient pas de lancer des signaux d'avertissement. C'est ainsi que l'indicateur "bull-bear" de Merrill Lynch, qui avait prédit avec justesse les 11 corrections de la Bourse depuis 2002, a lancé vendredi un signal de "vendre".

La hausse des rendements obligataires "commence à l'évidence à préoccuper les marchés", note Nicholas Colas, co-fondateur de DataTrek Research. "Les taux ont monté plutôt vite cette année et la cadence de cette remontée est inquiétante".

Le rendement de l'emprunt américain à 10 ans est passé de 2,46% en début d'année à 2,84%, soit sa hausse la plus rapide depuis novembre 2016.

La Réserve fédérale a laissé ses taux directeurs inchangés mercredi, à l'issue de la première réunion de son comité de politique monétaire (Fomc) de l'année et a dit qu'elle anticipait un renchérissement de l'inflation en 2018, laissant ainsi la porte ouverte à un tour de vis en mars.

Wall Street s'est révélée jusqu'à présent impavide face à la remontée des taux effectuée par l'institut d'émission et l'indice S&P-500 a ainsi gagné près de 20% en 2017. Les actions n'ont pas perdu 10% voire plus depuis le début de 2016 et ses récents rétrogradages sont autant d'opportunités de rachats à bon compte.

Une correction boursière ne serait pas du meilleur effet pour le président Donald Trump et les républicains au vu des élections législatives qui auront lieu en novembre. D'autant que Trump ne manque pas de dire à qui veut l'entendre que la flambée boursière observée depuis qu'il est entré à la Maison Blanche prouve la pertinence de sa politique économique.

GESTION ACTIVE CONTRE GESTION PASSIVE

Il semble que les investisseurs aient déjà changé leur fusil d'épaule et optent pour une gestion active de leurs avoirs boursiers pour annuler l'impact de la montée des taux.

Les FCP américains actifs, qui avaient subi 7,2 milliards de dollars de décollecte lorsque les investisseurs avaient adopté une gestion "passive" de fonds indiciels (ETF), ont réalisé une collecte de 2,4 milliards de dollars durant les sept jours clos mercredi, suivant des données de Lipper.

Dans le même temps, et dans la mesure où des taux qui augmentent renchérissent le coût de refinancement de la dette, les fonds américains en obligations spéculatives, dites "junk", ont enregistré une décollecte de 1,8 milliard de dollars, subissant leur troisième semaine consécutive de retraits, toujours selon Lipper. La moyenne mobile de quatre semaine de ce segment est négative à hauteur de 825 millions de dollars, le montant le plus élevé depuis début décembre.

Par ailleurs, la position nette longue des fonds spéculatifs (hedge funds) et autres investisseurs à risque sur le S&P-500 était cette semaine la plus importante depuis septembre.

Ce sont les actions les plus sensibles aux variations des taux d'intérêt qui traversent une mauvaise passe. Le segment immobilier du S&P-500 a perdu 3,7% en l'espace d'un mois, tandis que les services aux collectivités ("utilities") ont lâché 4,6% dans le même temps.

Au contraire, le secteur des biens de consommation non essentiels, qui tend à surperformer en période d'inflation en raison des revalorisations salariales, a lui gagné 8% sur cette même période.

Les gérants pensent que d'autres secteurs orientés croissance comme la high tech et la finance continueront de surperformer grâce, en particulier, à l'accélération de l'inflation et à la réforme fiscale adoptée par le Congrès.

"La croissance économique et les salaires ont donné un coup d'accélérateur, ça veut dire qu'il faut encore être sur les secteurs de croissance", dit Margaret Patel, gérante de Wells Fargo Funds en actions et en obligations. "Un rendement obligataire de même 3% n'a jamais empêché la Bourse de faire bonne figure". (avec Jennifer Ablan, Trevor Hunnicutt, Caroline Valetkevich, Megan Davies et Dan Burns; Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par)