* Cette Franco-Tunisienne a rejoint l'Etat islamique en 2014

* Elle ne regrette rien de son engagement auprès de Daech

* Elle a été évacuée de Baghouz, dernier réduit de l'EI en Syrie

* Elle dit ne vouloir rentrer ni en France, ni en Tunisie

par Rodi Said

PRÈS DE BAGHOUZ, Syrie, 24 février (Reuters) - Ghalia Ali le dit tranquillement : elle ne regrette rien. Ni d'avoir pris le voile intégral, ni d'avoir abandonné sa vie d'étudiante en Tunisie pour rejoindre l'Etat islamique en 2014.

Cette Franco-tunisienne, rencontrée parmi les civils évacués par camions entiers de Baghouz, village où se sont repliés les derniers combattants de l'Etat islamique dans l'est de la Syrie, près de la frontière irakienne, est en partance pour un camp qui accueille les déplacés.

Baghouz est désormais assiégé par les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance arabo-kurde soutenue par la coalition internationale menée par les États-Unis, qui ont prévu de lancer l'assaut final une fois tous les civils évacués.

La coalition internationale a décrit les retranchés de Baghouz comme des militants "les plus endurcis" de l'EI.

Comme Ghalia Ali, les évacués sont souvent des proches de combattants de l'État islamique qui ont accompagné ces dernières années la retraite du groupe djihadiste, qui a progressivement perdu les terres conquises en 2014 en Syrie et en Irak pour son califat autoproclamé, jusqu'à son repli à Baghouz.

"Le monde de Dieu est grand. Le plus important, c'est que je ne retourne pas en France ou en Tunisie", déclare Ghalia Ali à Reuters. La vie dans ces deux pays, dit-elle, est devenue "impossible" du jour où elle a décidé de porter le voile intégral islamique, le niqab.

Rencontrée vendredi avec ses deux jeunes enfants à un poste de contrôle aux abords de Baghouz, Ghalia Ali dit ne rien savoir du sort de son mari syrien originaire de Lattaquié, un combattant de l'EI qui l'avait accompagnée jusqu'à Baghouz.

"Il est quelque part (...). Actuellement, je ne sais vraiment pas où", dit la jeune femme en faisant entendre un petit rire sous son voile.

Elle et ses enfants, une fille de presque trois ans et un garçon de 18 mois, se dirigent vers le camp d'al Hol dans le Nord-Est syrien contrôlé par les FDS.

"LES PRINCIPES DE LA VIE"

Les FDS n'excluent pas que des djihadistes aient pu s'échapper de Baghouz, dissimulés parmi les civils. Des avions de combat survolaient vendredi l'avancement de l'évacuation.

Ghalia Ali, entrée en Syrie par la Turquie, a vécu dans plusieurs endroits sous le "califat" de l'EI, notamment à Djarablous, reprise par les forces turques et leurs alliés syriens en 2016, et à Rakka, la "capitale" du califat, prise par les FDS en 2017.

La jeune mère de famille évoque sans amertume des derniers moments de l'EI vécus à Baghouz. "A Baghouz, en particulier au cours de la dernière période, j'ai peut-être appris tous les principes de la vie", déclare-t-elle.

Ce fut le point final d'un voyage commencé en Tunisie après les manifestations de la "révolution de jasmin" de 2011, prémices des soulèvements arabes, qui ont fait tomber les dirigeants libyen, égyptien et yéménite et induit la guerre en Syrie.

A l'époque du régime du président tunisien Zine al Abidine Ben Ali, "la contrainte était très dure sur les musulmans", déclare Ghalia Ali. Elle-même n'était alors pas particulièrement pieuse. Quelque chose a changé quand elle a vu des Libyennes voilées arriver à Tunis après le soulèvement contre Mouammar Kadhafi.

"J'ai vu une femme portant le niqab. J'avais peur car c'était quelque chose d'étrange à Tunis", raconte Ghalia Ali.

Elle a néanmoins fini par prendre le voile. Elle dit avoir alors rencontré des difficultés pour poursuivre ses études à l'Institut français de Tunis ainsi qu'à Toulouse en France, où le port du voile intégral est interdit dans l'espace public parce qu'il dissimule le visage.

Accompagnée par sa mère, Ghalia Ali a alors rejoint l'EI en Syrie, conquise par l'une de ses vidéos de propagande.

Elle dit avoir été reniée par son frère, qui sert dans l'armée française, membre de la coalition internationale qui soutient les FDS.

Au camp d'al Hol, Ghalia Ali espère retrouver sa mère, évacuée de Baghouz avant elle.

"Dieu va arranger les choses pour moi", dit-elle. (Avec Ahmed Tolba et Ola Chaouki au Caire; Danielle Rouquié pour le service français)