par Oliver Holmes

BEYROUTH, 20 octobre (Reuters) - Les forces de sécurité libanaises ont renforcé samedi les contrôles routiers et le gouvernement s'est réuni en urgence au lendemain de l'attentat à la voiture piégée qui a coûté la vie à un haut responsable du renseignement et déclenché des manifestations de colère dans la communauté sunnite.

Le général Wissam al Hassan, qui dirigeait les services du renseignement des Forces de sécurité intérieure, avait notamment enquêté sur l'implication présumée de la Syrie et de son allié libanais, le Hezbollah chiite, dans l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005.

Sept autres personnes ont été tuées dans l'explosion de la voiture piégée vendredi après-midi dans le quartier chrétien d'Achrafieh, qui a également fait quelque 80 blessés.

Aucune revendication n'a été rendue publique, mais des responsables politiques libanais ont accusé le régime syrien de Bachar al Assad d'être impliqué dans cet attentat qui accentue les peurs d'une propagation de la crise syrienne au Liban.

Wissam al Hassan, qui était rentré jeudi soir d'un déplacement en Allemagne et avait échappé à plusieurs tentatives d'assassinat, avait récemment dirigé l'enquête qui a conduit en août à l'inculpation de l'ancien ministre Michel Samaha et de deux Syriens, poursuivis pour complot en vue de faire exploser des bombes préparées en Syrie dans le but de déstabiliser le Liban.

Des sunnites, la communauté à laquelle il appartenait, ont manifesté leur colère vendredi soir et dans la nuit, brûlant des pneus et dénonçant un attentat qui ravive les souvenirs de la sanglante guerre civile de 1975-1990.

Les routes menant à l'aéroport international de Beyrouth et à Tripoli, la grande ville principalement sunnite du Nord, ont été coupées. Des rassemblements ont également eu lieu et des routes été fermées dans la vallée de la Bekaa (est) et à Saïda (sud).

"NOUS AVONS PERDU UN PILIER CENTRAL DE LA SÉCURITÉ"

Samedi matin, le dispositif de sécurité déployé après l'attentat dans le quartier d'Achrafieh et sur la place des Martyrs, dans le centre de la capitale libanaise, était toujours en place.

Le mufti du Liban, haute personnalité de la communauté sunnite, a décrété trois jours de deuil national à la mémoire d'Hassan.

Dans son édition de samedi, le Beirut Star estime que les auteurs de cet attentat sont animés par la volonté de faire plonger le Liban dans un nouveau cycle de violences.

"Si l'objectif était de détourner l'attention des événements qui se produisent en Syrie, alors il faudra s'en souvenir et empêcher toute tentative visant à ramener le Liban vers la tension et les luttes intestines", poursuit le journal.

Saad Hariri, le fils de Rafic, a accusé Bachar al Assad d'être à l'origine de l'attentat. L'Alliance du 14-Mars, coalition anti-syrienne formée après l'assassinat de Rafic Hariri, a réclamé la démission du gouvernement du Premier ministre Nadjib Mikati, qui compte des ministres issus du Hezbollah.

La crise en Syrie, qui s'est muée en guerre civile, déstabilise le Liban, dont les communautés confessionnelles sont divisées sur l'attitude à adopter à l'égard du puissant voisin qui a longtemps pesé sur la politique intérieure libanaise. Damas n'a mis un terme officiel à sa présence militaire chez son voisin qu'après l'attentat contre Rafic Hariri.

La mort de Wissam al Hassan pourrait accentuer cette déstabilisation.

Pour le général Achraf Rifi, qui dirige les Forces de sécurité intérieure, sa mort est un "coup énorme" porté à la sécurité du pays. "Nous avons perdu un pilier central de la sécurité", a-t-il dit à la chaîne Future Television. "Il ne fait aucun doute que d'autres sacrifices nous attendent à l'avenir. Nous savons cela, mais nous ne céderons pas", a-t-il ajouté.

Le chef druze Walid Joumblatt, dont le parti soutient officiellement le gouvernement Mikati mais qui dénonce vivement Assad et le Hezbollah, a estimé pour sa part que le Liban était désormais un pays moins sûr.

"Il était notre protecteur. C'est un coup sévère mais nous n'avons pas peur et nous ne devrions accuser personne au Liban même, afin de ne pas donner à Assad une excuse pour s'emparer du Liban", a-t-il dit. "Il y a un service de renseignement qui est très bien implanté au Liban, c'est le service syrien. Il y a plus d'un Michel Samaha dans notre pays", a poursuivi le chef druze.

"LA MORT D'HASSAN DONNERA LE SOURIRE À ASSAD"

En dépit des accusations, le gouvernement syrien comme le Hezbollah ont condamné l'attentat.

Le ministre syrien de l'Information, Omrane al Zoabie, a dénoncé un "acte terroriste" et déclaré que le régime syrien condamnait "cette explosion terroriste et toutes ces explosions où qu'elles se produisent. Rien ne les justifie."

L'Iran, allié de la Syrie, a également condamné l'attentat de Beyrouth et suggéré qu'Israël pouvait en être responsable. "Au-delà du pathétique et pathologique", a répliqué un porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères.

L'inquiétude qui a gagné le Liban vaut aussi dans les capitales occidentales, hostiles au maintien de Bachar al Assad et qui redoutent que la guerre civile en Syrie ne déborde des frontières.

Hillary Clinton, la secrétaire américaine d'Etat, a estimé que l'attentat était "un signe dangereux" de la présence de forces "qui continuent à cherchent à saper la stabilité du Liban".

En France, le président François Hollande a appelé "tous les responsables politiques libanais à maintenir l'unité du Liban et le protéger de toutes les tentatives de déstabilisation, d'où qu'elles viennent".

Nabil Boumonsef, éditorialiste au journal libanais An Nahar, exprimait dès vendredi sa crainte sur l'évolution de la situation au Liban: "Ils avaient mis en garde au sujet des conséquences de la crise syrienne et les voici. Qui a fait ça et pourquoi, personne ne le sait, mais ce qui est certain, c'est que cela ne peut pas être isolé de ce qui se passe en Syrie."

Pour Augustus Richard Norton, spécialiste du Proche-Orient à l'université de Boston, il est trop tôt pour dire qui a commis l'attentat de vendredi. "Cependant, il ne fait aucun doute que la mort d'Hassan donnera le sourire à Bachar al Assad et à ses comparses", ajoute-t-il. (avec Laila Bassam; Guy Kerivel et Henri-Pierre André pour le service français)