La BCE a abaissé jeudi contre toute attente son principal taux de refinancement d'un quart de point à 0,25%, de même que son taux de la facilité de crédit ramené à 0,75%. Elle a en outre maintenu le taux de dépôt à 0,0%.

"Cette décision a trois objectifs: faire baisser l'euro face au dollar, faire un cadeau aux banques qui se refinancent via le LTRO (opération de refinancement à plus long terme) et enfin redonner confiance aux marchés", indique Thibault Prébay, directeur de la gestion Taux chez Quilvest Gestion.

"On a l'impression que Mario Draghi, le président de la BCE, a cherché à préparer le marché à de mauvaises nouvelles", ajoute-t-il soulignant deux échéances importantes à venir concernant la BCE: ses premières anticipations économiques pour 2015 avec de probables révisions pour 2014 annoncées en décembre, et la décision de la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe sur les opérations monétaires sur titres (OMT).

Frédéric Tassin, responsable de la gestion actions chez Aviva Investors France, relève de son côté l'action de la BCE qu'il juge "extrêmement proactive" face aux défis auxquels la zone euro est confrontée et prête à agir au-delà des mesures non-conventionnelles actuelles.

"GÉRER LA MONNAIE"

Les gérants soulignent la volonté de la BCE de chercher à améliorer la compétitivité des entreprises européennes même si l'institution a assuré ne pas avoir réfléchi à la situation des devises.

"L'euro est trop fort par rapport à la situation économique européenne. Si la BCE dit ne pas chercher à manipuler le taux de change, elle intervient en revanche quand l'euro s'apprécie. C'est une façon de gérer la monnaie et d'aider l'économie de la zone euro qui est dirigée par le commerce extérieur", estime Benjamin Melman, directeur allocation d'actifs et dettes souveraines chez Edmond de Rothschild Asset Management.

Lors de la publication des derniers résultats trimestriels, de très nombreux responsables d'entreprise, tous secteurs confondus, ont imputé à la vigueur de l'euro des performances inférieures aux attentes, voire des abaissements de perspectives annuelles.

"Nous avions considéré avec une certaine préoccupation l'affaiblissement du dollar depuis quelques semaines et, de ce point de vue, la décision de la BCE est bienvenue", déclarait jeudi Olivier Mallet, le directeur financier de Vallourec, un groupe très internationalisé en raison de son activité de fabrication de tubes sans soudure pour l'industrie du pétrole et du gaz.

"On a de plus en plus de chefs d'entreprises européennes qui se plaignent de la vigueur de l'euro et de ses effets sur la compétitivité de leur entreprise (...) Malgré la réduction drastique des bases de coûts, les entreprises européennes ont du mal à rester compétitives à l'export en raison d'un euro surévalué", explique Frédéric Tassin.

Les investisseurs jugent cependant que les annonces de la BCE ne suffiront pas à inverser la tendance à plus long terme de l'euro, qui est repassé sous 1,34 dollar depuis jeudi après avoir atteint 1,38 dollar le mois dernier, contre 1,20 dollar en juillet 2012.

LA NOTE DE LA FRANCE ENCORE ABAISSÉE

"Pour faire baisser l'euro, l'arme la plus efficace est la baisse du taux de dépôt selon la BCE. Or on n'a pas réussi à se mettre d'accord au sein de la BCE pour établir un taux de dépôt négatif. L'euro risque donc difficilement de descendre sous son niveau actuel", prévient Axel Botte, stratégiste obligataire de Natixis AM.

"Pour faire davantage baisser l'euro, il faudrait soit un programme d'achat non stérilisé (QE), soit un nouveau LTRO dont le succès resterait à démontrer, soit une baisse du taux de dépôt. Mais cela induirait un changement d'optique comparable à l'activisme de la Fed ou de la Banque d'Angleterre, ce qui n'est pas une chose acceptable aujourd'hui pour l'Allemagne", ajoute-t-il.

Selon une enquête menée par Reuters après la décision de l'institution sur ses taux, la BCE devrait lancer un nouveau LTRO d'ici six mois.

La faiblesse de la reprise économique en zone euro actée mardi par la Commission européenne et celle pour une période sans doute prolongée de l'inflation ramène en effet au premier plan la problématique des dettes souveraines dans la région, qui avait nourri la crise entre 2010 et 2012.

Illustrant d'ailleurs le regain d'inquiétude des investisseurs sur la situation financière des Etats, Standard & Poor's a abaissé d'un cran la note souveraine de la France à AA contre AA+, estimant les réformes engagées insuffisantes pour améliorer le potentiel de croissance et consolider le redressement des finances publiques.

Alexandre Boksenbaum-Granier

par Alexandre Boksenbaum-Granier