"Quel regard portez-vous sur le statu quo décidé par la BCE à l’issue de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs la semaine dernière ?
Ce statu quo était anticipé. La baisse du taux directeur de refinancement avait été effectuée en novembre contre l’avis de certains membres du Conseil des gouverneurs, notamment de pays d’Europe du nord. Sauf publication de statistiques très inquiétantes, ce qui n’a pas été le cas, la BCE n’était pas en mesure de faire grand-chose de plus.

Qu’attendez-vous pour les mois à venir ?
Le positionnement de la BCE sera tributaire de l’évolution macroéconomique. La croissance est destinée à demeurer atone en 2014 et 2015 avec +1,1% et +1,5%. Ces prévisions cachent une importante disparité entre une Allemagne très dynamique et des pays périphériques encore englués, notamment sur le front de l’emploi. La BCE devrait faire en sorte de garder en réserve ses armes non conventionnelles.

Vous vous attendez à un troisième LTRO (opération de refinancement à long terme des banques européennes à des conditions avantageuses) ?
Deux opérations de refinancement avaient été lancées fin 2011 et début 2012.
1000 milliards d’euros avaient alors été prêtés pour éviter un crédit crunch. Les emprunts effectués arrivent à échéance fin 2014, début 2015.
Certains établissements relativement fragiles, qui ont encore beaucoup de mauvaises créances à provisionner, seront forcés de renouveler les prêts qu’ils ont souscrits. Nous pourrions alors avoir un LTRO de transition afin d’aider ces établissements.

Lors de sa conférence de presse du 5 décembre, Mario Draghi a souligné deux écueils au LTRO : éviter que la liquidité fournie ne serve à réaliser des opérations de carry trade, et faire en sorte que les petites et moyennes entreprises accèdent à ces liquidités. En volume annuel, on observe encore une contraction du volume de crédit aux entreprises non financières de 3,4%?
Des mesures sont, de toute évidence, nécessaires pour contrôler l’utilisation par les banques de la liquidité empruntée.
Reste que ces mesures sont difficiles à implémenter : il est difficile de s’assurer que l’argent octroyé sera bien orienté vers le financement de l’économie réelle. D’autant que les banques, sujettes à un durcissement de la réglementation et de la fiscalité, sont moins enclines à promouvoir le crédit. Par ailleurs, l’appétit des agents économiques pour l’endettement n’est plus aussi important qu’avant l’éclatement de la crise.

Le LTRO permettrait aux banques de ne pas être à court de liquidité, mais n’aurait pas vraiment pour objet d’augmenter le volume de crédit ?
Effectivement. Ce troisième LTRO, qui pourrait être d’un montant proche de 500 milliards d’euros, ne sera pas suffisant, à lui seul, tant que certaines institutions n’auront pas reconstitué la liquidité nécessaire dans leur bilan.

Est-ce à dire que la marge de manœuvre de la BCE pour élargir le robinet du crédit est inexistante ?

Cette marge de manœuvre est extrêmement limitée, car la BCE n’a pas les moyens ou les pouvoirs de vérifier ce qui se passe dans chaque banque.

Quelles pourraient être les autres actions prises par la BCE dans votre scénario central ?

Vraisemblablement, la lente amélioration de la conjoncture dans la zone euro devrait se poursuivre. Cela devrait protéger la zone d’une situation déflationniste. Dans cette optique, la BCE ne devrait pas avoir besoin d’assouplir davantage sa politique monétaire l’année prochaine.

Vous excluez l’établissement du taux de rémunération des dépôts en territoire négatif ?
La BCE rechigne depuis longtemps à établir le taux de rémunération des dépôts en dessous de 0, bien que cette option inciterait les banques à trouver des relais pour investir, notamment dans le financement des entreprises.
On peut donc penser que Mario Draghi pourrait évoquer cette possibilité, mais n’ira pas plus loin. La résistance du lobby bancaire est puissante et l’opposition des gouverneurs allemands et hollandais est farouche.

Quel serait le principal risque dans votre radar qui pourrait pousser la BCE à se montrer beaucoup plus agressive ?

Le risque majeur me semble être politique. Il prendrait la forme d’une nouvelle crise dans un grand pays, soit l’Espagne, soit l’Italie.
L’accentuation des tensions ferait de nouveau bondir les taux obligataires et recréerait un climat de psychose dans la zone euro. Nous aurions de nouveau un inversement des mouvements de capitaux, plus violents, vers des zones réputées plus sécurisées.
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