* La défense d'Abliazov dénonce un coup monté politique

* L'avocate générale l'accuse d'être un escroc

* Elle estime qu'il n'y a pas de danger de réextradition vers le Kazakhstan (Actualisé avec date du délibéré, Russie)

par Jean-François Rosnoblet

AIX-EN-PROVENCE, BOUCHES-DU-RHONE, 12 décembre (Reuters) - L 'avocate générale de la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) s'est prononcée jeudi pour l'extradition vers Kiev ou Moscou de l'ancien ministre et oligarque kazakh Moukhtar Abliazov, un opposant au président Noursoultan Nazarbaïev.

La chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui a examiné la double demande d'extradition formulée par l'Ukraine et la Russie à l'encontre de cet homme poursuivi dans son pays pour détournement de fonds, ce qu'il dément, a mis sa décision en délibéré au 9 janvier.

Le parquet a marqué sa préférence pour une extradition "en priorité" vers la Russie, compte tenu des préjudices financiers présumés pour les deux pays, 5 milliards de dollars pour la Russie contre 400 millions de dollars en Ukraine.

"Le budget de notre justice française est inférieur aux sommes détournées par M. Abliazov au préjudice de la seule fédération russe", a expliqué Solange Legras.

L'avocate générale Solange Legras a estimé que Moukhtar Abliazov devait être considéré davantage comme un "délinquant de grande envergure" que comme un opposant politique en danger d'être extradé ensuite vers son pays d'origine.

Pour les avocats de la défense, l'Ukraine et la Russie seraient les "bras armés" du Kazakhstan, qui n'a pas de convention d'extradition avec la France et dont l'objectif serait d'obtenir le renvoi de l'oligarque vers son pays d'origine par des "voies détournées".

Mais Solange Legras a balayé ces arguments.

"Quand on a tant d'argent, on peut tout s'acheter", a-t-elle dit. "Ce que l'on ne peut pas acheter, c'est la justice française. Vous devrez vous soumettre à ses règles."

SIX MILLIARDS DE DOLLARS DÉTOURNÉS ?

Par sa fonction au sein de la banque BTA, établissement qu'il a dirigé de 2005 à 2009, Moukhtar Abliazov aurait concédé des prêts à des sociétés écrans dont il avait le contrôle et qui n'ont jamais été remboursés. Les défenseurs de BTA chiffrent à près de six milliards de dollars les sommes détournés.

"Tout est faux, tout a été falsifié. Il n'y a aucune preuve de ces détournements. Cet argent est toujours sur les comptes de la banque, il n'a jamais été volé", s'est défendu Moukhtar Abliazov. "Tout a été fabriqué au Kazakhstan. Je suis convaincu d'être poursuivi pour des raisons politiques."

Ses défenseurs soulignent que le Kazakhstan, l'Ukraine et la Russie sont liés par une convention qui les oblige à se transférer leurs ressortissants d'un Etat à l'autre.

"Ni l'Ukraine, ni la Russie n'apportent de garanties acceptables pour envisager le transfert de Moukhtar Abliazov vers l'un de ces deux Etats", a dit l'un deux, Bruno Rebstock, ironisant sur "l'entrain de l'Etat russe, le grand frère, à affirmer sa priorité sur un état ukrainien bafouillant".

Mais pour l'accusation et les avocats des parties civiles, l'Ukraine et la Russie sont liées par la convention de Genève et la convention européenne des droits de l'homme, qui interdisent la remise d'un réfugié politique aux autorités de son pays.

La convention du Conseil de l'Europe interdit aussi une ré-extradition vers un pays tiers sans l'accord préalable du premier pays, soit la France dans ce cas.

"Nous n'avons aucun exemple d'un Etat qui aurait violé cette convention datant de 1957", a dit Solange Legras, balayant la "piste politique" de ce dossier.

"Il est facile d'être un opposant pour masquer sa qualité d'escroc. M. Abliazov est d'abord un délinquant de grande envergure et, peut-être, un opposant politique au Kazakhstan. Peu importe, puisque le risque d'être ré-extradé vers ce pays n'existe pas", a-t-elle insisté.

EN DÉTENTION PROVISOIRE

L'ancien ministre kazakh de l'Industrie a été placé en août dernier en détention provisoire par un juge français en attendant son éventuelle extradition.

Moukhtar Abliazov, 50 ans, a fui son pays en 2009 lorsque sa banque, BTA, a été nationalisée et déclarée en faillite. Il a été arrêté le 31 juillet à Mouans-Sartoux, près de Cannes.

Il s'était réfugié en Grande-Bretagne en 2009 où il a obtenu l'asile politique, mais a fui l'an dernier ce pays où il a été condamné à 22 mois de prison pour outrage à magistrat.

L'oligarque déclare que sa vie est menacée depuis qu'il a quitté le Kazakhstan et que sa sécurité ne serait pas garantie en cas de détention dans une prison britannique.

Il a expliqué que ses relations avec le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev se sont détériorées lorsqu'il a commencé à faire campagne pour un changement de gouvernement.

Moukhtar Abliazov a été emprisonné en 2002, un an après la fondation de son parti d'opposition visant à dénoncer le régime autoritaire au pouvoir au Kazakhstan.

Fin mai, son épouse Alma Chalabaieva et leur fillette de six ans ont été expulsées d'Italie vers le Kazakhstan, dans des conditions qui ont déclenché une crise politique à Rome. (Edité par Yves Clarisse)