Moins de cinq mois après ces annonces, le numéro deux américain du secteur souffre en effet de sa volonté de réduire ses remises commerciales et, même s'il parvient à améliorer sa compétitivité, il risque d'avoir du mal à regagner le terrain perdu.

Ford affiche sur les trois derniers mois la plus forte baisse des ventes des constructeurs de masse, ce qui s'explique, selon des connaisseurs du secteur et des données non publiées, par l'arrêt de la politique de rabais lancée l'an dernier pour réduire les stocks.

Le constructeur a expliqué vouloir se retirer de "canaux non rentables", par exemple les ventes aux loueurs automobiles, même au risque de perdre des parts de marché.

"La part de marché est intéressante mais la part de marché ne paie pas les factures", a déclaré le directeur général de Ford Europe, Stephen Odell, lors du salon automobile de Genève au début du mois. "Il faut que l'activité soit rentable."

En annonçant la fermeture de son usine belge de Genk et de deux sites au Royaume-Uni, Ford a été le deuxième grand constructeur à s'attaquer de front aux surcapacités, trois mois après PSA Peugeot Citroën.

Le groupe américain a alors expliqué que la diminution de 18% de ses capacités lui permettrait de renouer avec la rentabilité d'ici le milieu de la décennie, à condition cependant de maintenir sa part de marché.

De nouvelles réductions de capacités pourraient intervenir si cette stratégie ne portait pas ses fruits, a-t-il prévenu.

Or les ventes de Ford en Europe ont chuté de 23,4% sur les deux premiers mois de l'année, une baisse plus de deux fois supérieure à celle du marché dans son ensemble selon l'Association des constructeurs européens d'automobiles. Quant à sa part de marché, elle a diminué de 1,2 point à 6,6%.

"Les hypothèses qu'ils ont faites quand ils ont annoncé leur plan ne sont plus valables", estime Philippe Houchois, un analyste d'UBS basé à Londres. "On ne peut restructurer que quand on a une idée de la direction dans laquelle évolue le marché."

En janvier, Ford a revu à la hausse sa prévision de pertes en Europe cette année, à deux milliards de dollars (1,55 milliard d'euros) contre 1,5 milliard auparavant.

DILEMME

Dans l'usine de Genk, qui doit fermer l'an prochain, la production vient juste de reprendre après un mouvement de grève suscité par le plan de restructuration.

Ce mouvement social explique en partie la baisse des ventes de la marque, également alimentée par des problèmes de distribution affectant le remplacement de ses modèles Fiesta et Kuga.

L'an dernier, le rabais moyen consenti par Ford a augmenté de plus de 30% pour dépasser 2.750 euros par véhicule sur les cinq principaux marchés européens, selon les données d'un cabinet d'études indépendant que Reuters a pu consulter.

Ce chiffre est supérieur de plus de 500 à la moyenne du marché, qui a augmenté pour sa part de 11% pour ces cinq marchés (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie et Espagne).

Mark Truby, porte-parole de Ford, a dit ne pas pouvoir confirmer les chiffres portant sur 2012 et a souligné que le redressement de l'entreprise était en bonne voie.

Il a assuré que les niveaux de rabais pratiqués par le groupe étaient inférieurs à la moyenne de ceux pratiqués par les constructeurs grand public.

"Nous transformons en profondeur nos activités en Europe en augmentant nettement nos nouveaux produits, en améliorant notre image de marque et en nous attaquant aux coûts", a-t-il ajouté.

En Bourse, l'action Ford a gagné 6,5% sur les 12 derniers mois alors que GM, son principal rival, voyait son cours de Bourse progresser de 16,4%.

Ford a annoncé cette semaine que les nouvelles versions des modèles Fiesta et Kuga avaient enregistré une hausse des commandes en février, ce qui devrait soutenir ses ventes en attendant l'arrivée, fin 2013, de son nouveau "mini crossover" EcoSport.

Face à la baisse persistante de la demande en Europe, les constructeurs adoptent des attitudes parfois divergentes: des marques comme Renault et Opel disent vouloir maintenir leur part de marché tandis que Chevrolet (groupe GM) et d'autres privilégient les marges, quitte à perdre du terrain.

Pour certains observateurs, Ford n'a pas encore tranché entre le prix et la part de marché, un dilemme qui risque de se compliquer car les marques allemandes haut de gamme sont de plus en plus agressives sur le segment de milieu de gamme.

"Ce sera difficile. Dans le climat actuel, il semble impossible d'avoir les deux", résume Tom De Vleeschauwer, du cabinet de conseil IHS Automotive.

Avec Christiaan Hetzner à Francfort et Jennifer Clark à Milan, Marc Angrand pour le service français, édité par Benoît Van Overstraeten

par Deepa Seetharaman et Laurence Frost