PARIS (awp/afp) - Mobiliser des salariés en télétravail, mission impossible? Près d'un an après le début de la crise sanitaire, de nombreux syndicalistes se creusent encore la tête pour trouver des solutions, même si quelques actions originales ont pu voir le jour.

"C'est extrêmement compliqué de réussir à rassembler en ce moment", souligne Jean-François Pibouleau, délégué syndical central (DSC) CGT du groupe Renault.

Alors que le constructeur a annoncé, fin mai 2020, 15.000 suppressions de postes dans le monde, dont 4.600 en France, les salariés se sont assez peu mobilisés pour s'y opposer.

La faute, bien sûr, à la crise sanitaire, qui a plongé les Français dans deux confinements et dans la crainte permanente du Covid-19. Mais, aussi, au télétravail devenu la règle pour de nombreux travailleurs pour lutter contre la propagation du virus.

"Le syndicalisme par écrans interposés, c'est pas l'idéal", reconnaît Jean-François Pibouleau. Chez Renault, les syndicats ne peuvent pas utiliser les adresses mail des salariés, un obstacle à la communication.

C'est également le cas chez Sanofi. "On est privés d'un droit", attaque Jean-Louis Peyren, coordinateur CGT du groupe pharmaceutique.

Résultat: les salariés en télétravail "s'isolent" et "s'enferment" pour Jean-François Pibouleau. Ils "se retrouvent coupés de la société", selon Jean-Louis Peyren.

"Le lien est coupé"

"Paradoxalement, il y a eu une forte mobilisation" le 19 janvier, rappelle-t-il. La CGT, rejointe par d'autres syndicats, avait appelé à la grève contre les restructurations et pour une hausse des salaires.

"Ceux qui ont vraiment envie de se mobiliser, ils se mobilisent. Par contre, avec les indécis, ceux qui se décident à la machine à café...le lien est coupé", regrette-t-il.

Et, même concernant ceux qui se mobilisent, "le pointage peut s'avérer symbolique" car, à distance, rien ne dit qu'ils cessent réellement de travailler, estime Amélie Henri, coordinatrice CFE-CGC du groupe EDF.

Comment, alors, mobiliser ces "indécis" sans leur parler de vive voix?

"Si vous avez des idées, je les veux bien!", sourit Jean-Louis Peyren.

"On a fait des assemblées générales virtuelles", esquisse Jean-François Pibouleau, lui aussi en manque de solutions. "Un moindre mal", estime-t-il.

D'autres ont mis l'accent sur la pédagogie, à l'image d'Anne Debrégeas, de SUD Energie, qui travaille au service recherche et développement d'EDF, majoritairement en télétravail.

Elle a rédigé un argumentaire, publié sur le site de sa section, contre le projet Hercule de scission de l'énergéticien, fortement contesté en interne. Et "encourage les gens à faire connaître le problème autour d'eux", le bouche-à-oreille remplaçant les traditionnels affichages syndicaux dans les locaux de l'entreprise.

"On a beaucoup axé notre travail sur la communication", abonde Amélie Henri, dont le syndicat a organisé "des webconférences pour alerter sur Hercule".

"Manifestation virtuelle"

La CFE-CGC a mis en place un système similaire chez GRTGaz, l'une des filiales d'Engie mobilisée contre la future réglementation énergétique RE 2020. "Ce qu'on a proposé, c'était que les équipes fassent grève pendant une heure à un moment précis, et on a ouvert des conférences téléphoniques pour faire de la pédagogie sur RE 2020", explique Bettina Hortal, DSC du syndicat de l'encadrement.

Ces rendez-vous ont trouvé leur public, avec "130 à 140 participants à chaque fois", se réjouit-elle, avant d'ajouter: "Ce que je retiens, c'est que les gens se sentent touchés quand on leur explique".

Mais, pour Jean-François Pibouleau, ce système a ses limites: "Soit on fait une AG virtuelle, soit on fait une AG physique. On ne peut pas inviter en même temps les gens à distance et en présentiel".

S'il a réduit le champ d'action des syndicats, le télétravail forcé a également poussé à l'émergence d'actions insolites.

C'est ainsi que, pour s'opposer au rachat de Suez par Veolia, la CGT a organisé en novembre, en plein deuxième confinement, une "manifestation virtuelle" dans le secteur de l'énergie. Encouragés par le syndicat, les salariés avaient alors envoyé "1.200 cartes" par mail aux dirigeants d'Engie et au ministère de l'Economie.

Mais la grève avait été peu suivie, signe des limites de la mobilisation en télétravail. Alors que semble se profiler un troisième confinement, les syndicats vont à nouveau devoir se creuser les méninges.

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