Zurich (awp) - Credit Suisse a tenu mardi son ultime assemblée générale, plus d'un siècle et demi après la fondation du numéro deux bancaire helvétique. Face à des actionnaires entre colère et résignation, le président du conseil d'administration de l'établissement, Axel Lehmann, a présenté ses excuses, avant de se voir réélu de justesse pour un nouveau mandat de quelques mois et la reprise par le rival UBS.

"Il s'agit d'une triste journée, pour vous et pour nous aussi. Nous nous trouvons à un stade que nul n'avait attendu de la sorte", a déclaré M. Lehmann devant les 1748 actionnaires présents au Hallenstadion, dans la banlieue de Zurich. "Je peux mesurer l'amertume, la colère et le choc de tous ceux qui sont déçus et affectés par la tournure des événements", a-t-il relevé, le visage grave d'une voix laissant transparaître son émotion.

Faisant part de la volonté et de l'énergie déployées pour remettre la banque aux deux voiles sur la bonne voie, M. Lehmann a regretté de ne pas avoir eu le temps nécessaire, alors qu'une semaine fatale de mars a ruiné tous les plans. "Je suis vraiment désolé pour cela. Je m'excuse de n'avoir pu mettre un terme à la perte de confiance accumulée au cours des ans et de vous avoir déçus".

"Vous devez me croire: nous avons lutté de toutes nos forces" pour changer le cours des événements. A l'image du directeur général, Ulrich Körner, Axel Lehmann a relevé avoir manqué de temps, alors que la banque avait besoin d'une revue stratégique complète et d'une transformation culturelle.

"Seule voie praticable"

Mais l'établissement a été touché de plein fouet à un moment où il était particulièrement vulnérable, dans un contexte de rapide remontée des taux d'intérêts et d'inflation, auquel se sont ajoutés les problèmes de banques américaines, a poursuivi M. Lehmann, timidement applaudi à l'issue de ses remarques introductives, alors que certains de ses prédécesseurs avaient dû affronter les huées de l'assistance.

La reprise dans l'urgence le 19 mars de Credit Suisse par l'éternel rival UBS, promue par le Conseil fédéral, représente "la seule voie praticable", a pour sa part assuré Ulrich Körner. Désormais, les responsables de l'établissement entendent faire en sorte que cette fusion soit achevée, Axel Lehmann se disant conscient de la situation difficile des employés de la banque.

Une vingtaine d'actionnaires ont exprimé leur colère et leur désarroi, se penchant notamment sur les déboires du numéro deux bancaire helvétique depuis la crise financière de 2008. Plusieurs ont rappelé les problèmes à répétition de la banque d'affaires et les rémunérations astronomiques des dirigeants successifs.

Une actionnaire romande a fait part d'"un sentiment très fort de tristesse face à un immense gâchis qui était évitable". Des déboires mal gérés depuis 15 ans. "Les managers ont franchi la ligne rouge", n'apprenant rien du passé, même depuis l'affaire des fonds en déshérence, puis de la crise des subprimes, a-t-elle poursuivi, proposant de remettre au nouveau directeur général d'UBS, Sergio Ermotti, un code d'éthique.

"Il faut apprendre quelque chose de la catastrophe et se protéger d'une gestion frauduleuse", a-t-elle déclaré. Evoquant les dérives de la banque d'affaires de Credit Suisse et les affaires à répétition ces dernières années, un autre actionnaire a fait part de son incompréhension. Chaudement applaudi, il a ainsi dénoncé l'attitude des plus gros détenteurs de titres de la banque, ceux-ci n'ayant que rarement sanctionné les dirigeants de Credit Suisse.

Un autre petit porteur a remis au président du conseil d'administration Axel Lehmann un sac de noix vides indiquant avoir ouvert leurs coques, mangé leur contenu et recollé celles-ci. Faisant probablement référence à l'ancien président Urs Rohner, remplacé par António Horta-Osório, auquel M. Lehmann a succédé en janvier 2022, il a déclaré lui avoir réservé "la plus grosse noix creuse".

Examen spécial refusé

A l'image d'autres actionnaires, il a demandé au conseil d'administration d'entreprendre les démarches nécessaires contre les responsables de la débâcle. Reste qu'à l'heure du vote, les propriétaires de Credit Suisse ont refusé l'ouverture d'une enquête spéciale, mais plus de la moitié d'entre-eux se sont abstenus. Face à ces interventions, Axel Lehmann a fait preuve de compréhension.

Les sept administrateurs ayant sollicité le renouvellement de leur mandat, dont le président du conseil d'administration, ont été réélus du bout des lèvres, Axel Lehmann, par exemple, n'obtenant qu'un peu plus de 55% de voix. Cinq membres de l'organe de surveillance ont jeté l'éponge.

Les actionnaires ont en revanche refusé de peu l'enveloppe de 34 millions de francs suisses prévue initialement pour la rémunération fixe de la direction générale jusqu'à l'an prochain. Celle de 13 millions réservée au conseil d'administration a elle de justesse passé la rampe.

vj/rp