par Raquel Castillo Lopez

MADRID, 21 janvier (Reuters) - Après quatre ans de crise économique, manifester est devenu une habitude presque quotidienne en Espagne où les baisses de salaires, les privatisations et les réductions dans la dépense publique sont à l'origine d'un bouleversement social sans précédent depuis la fin du franquisme.

Juges, médecins, conducteurs de bus et éboueurs sont parmi les catégories les plus touchées par les arrêts de travail provoqués par les politiques de rigueur mises en oeuvre par le gouvernement de Mariano Rajoy.

Pas un jour ne se passe sans qu'une manifestation ne se déroule dans les rues de Madrid ou d'une autre grande ville du pays.

"Notre gouvernement a mis le pays sur la voie de la ruine. Il nous retire tous nos avantages et tout notre pouvoir d'achat", dénonce Francisco Garcia, agent d'entretien et délégué syndical à l'Hôpital général d'Alicante.

Depuis le début de l'année, Francisco Garcia et ses collègues ont fait grève 17 jours pour exiger le paiement de deux mois d'arriérés de salaires qui leurs sont dus par le gouvernement régional de Valence.

A Grenade, dans le sud, toujours ce mois-ci, les camions-poubelles sont restés au dépôt pendant deux semaines en réaction à la réduction des horaires de travail et du salaire des agents. La grève s'est achevée dimanche, mais le quart seulement des ordures accumulées dans la ville ont été déblayés.

La colère de l'opinion est accentuée par le plan de sauvetage, à hauteur de 100 milliards d'euros, des banques espagnoles qui ont fait gonfler la bulle de l'immobilier dans la décennie ayant précédé la crise. Dans le même temps, des dizaines de milliers de foyers espagnols, incapables de faire face aux traites de leurs emprunts immobiliers, sont expropriés.

"Ils sauvent les banques mais ferment les hôpitaux", proclamait dimanche une banderole lors de la manifestation hebdomadaire rassemblant médecins et personnel de la santé à Madrid contre les projets de privatisation de six hôpitaux.

RAJOY CAMPE SUR SES POSITIONS

Contrairement à la Grèce, les mouvements sociaux n'ont pas donné lieu à des actes de violence politique. Mais des tragédies familiales, dont les suicides de propriétaires évincés de chez eux, ont conduit le gouvernement Rajoy à décréter un moratoire sur les expulsions.

Fort de sa majorité absolue au parlement et de l'absence de toute échéance électorale cette année, le président du gouvernement n'entend pas dévier cependant des objectifs d'assainissement des finances publiques qu'il s'est fixé en accord avec l'Union européenne.

"La stratégie du gouvernement est de camper sur ses positions, de ne faire aucune concession et de s'accrocher à l'espoir que l'économie commencera à se redresser d'ici à la fin 2013 ou en 2014", commente l'analyste madrilène Miguel Murado.

Sur le front budgétaire, Rajoy n'a guère de marges de manoeuvre. L'Etat doit lever cette année plus de 200 milliards d'euros de dette à moyen et long terme sur les marchés obligataires, et même si les taux auxquels l'Espagne s'endette ont baissé ces derniers temps, le pays reste sous surveillance: si les 20 milliards d'euros d'économies budgétaires supplémentaires promises pour cette année ne sont pas exécutées, les taux pourraient s'envoler de nouveau.

Mais la récession (-1% en 2012) entretient un cercle vicieux: avec un chômage touchant le quart de la population active et des ventes au détail en recul constant depuis 29 mois, les recettes fiscales (impôts sur les revenus, TVA) sont moins importantes et les objectifs de réduction du déficit plus difficiles à tenir.

L'ÉMIGRATION MULTIPLIÉE PAR DIX

Au début de la crise, les Espagnols semblaient accueillir les mesures d'austérité avec philosophie, comme un mal nécessaire après les excès de la décennie précédente qui ont saturé le marché de l'immobilier avec un million de logements vides et donné vie à des infrastructures (autoroutes, aéroports, lignes ferroviaires) sous-utilisées.

Mais la rigueur et la récession s'installent. D'après un sondage récent de l'institut Metroscopia, trois Espagnols sur quatre pensent que le gouvernement Rajoy ne sait pas comment sortir de la crise.

"Au final, nous allons devoir quitter notre pays parce qu'il n'y a plus de travail", note Elina Rodriguez, étudiante en histoire âgée de 20 ans.

En 2011, on estime à 370.000 le nombre d'Espagnols ayant opté pour l'émigration. C'est dix fois plus qu'avant la crise de 2008.

Et les mauvaises nouvelles s'accumulent sur le front de l'emploi. Depuis le début de l'année, la banque Bankia, aujourd'hui passée sous contrôle public, a annoncé 6.000 suppressions de postes. La filiale espagnole de l'opérateur de téléphonie mobile Vodafone prévoit d'en supprimer un millier. Iberia, la compagnie aérienne, envisage pour sa part de réduire d'un quart ses effectifs, soit 4.500 postes en moins.

"Il se produit dans notre pays une chose qui ne s'était jamais produite auparavant: il est pour le moins étrange de voir des juges, des procureurs, des avocats, des médecins, des infirmières et des enseignants manifester dans la rue", dit Jose Luis Gonzalez Armengol, un des principaux juges à Madrid. (avec Iciar Reinlein, Teresa Larraz et Tracy Rucinski; Henri-Pierre André pour le service français, édité par Pascal Liétout)