Quelle que soit la solution alternative inventée par Chypre pour remplacer cette taxation, le parallèle avec les expériences islandaise et irlandaise de ces dernières années montre que l'assainissement risque de se faire dans la souffrance.

Le gouvernement islandais a laissé ses banques faire défaut et introduit le contrôle des changes, ce qui a rendu plus difficile le financement de l'économie. L'Irlande a pour sa part nationalisé pratiquement toutes ses banques, ce qui a débuché sur un quadruplement de son endettement.

Les deux pays sont à nouveau en phase de croissance mais des problèmes de fond demeurent. Les particuliers des deux pays sont toujours noyés sous leur dette immobilière. En Irlande, le taux de chômage reste à 14% tandis que l'Islande hésite toujours à lever le contrôle des changes de crainte d'une fuite des capitaux étrangers.

Tout cela augure de difficultés pour Chypre dont les banques souffrent à la fois de leur forte exposition à la Grèce et à des fonds russes de provenance parfois douteuse.

Pour sauver ses banques et honorer les factures de l'Etat, Chypre a besoin de 17 milliards d'euros, soit près de l'équivalent de son produit intérieur brut (PIB) annuel. Dix milliards proviendraient d'un financement européen et le reste de la taxation des comptes bancaires.

Les dix milliards d'euros du renflouement chypriote, relativement faibles en valeur absolue par rapport aux plans de sauvetages grec et irlandais, respectivement de 240 et 67,5 milliards d'euros, apparaissent énormes pour une île d'un million d'habitants seulement. Cela en dit long sur ce qu'est devenu le secteur bancaire.

"LIMAGRAD"

Les banques chypriotes, qui ont profité d'un fort développement en Grèce qui leur a permis de doubler leur encours de prêts en six ans - il s'élève à 72 milliards d'euros - ont d'autant plus souffert de la crise grecque.

Les deux principales banques chypriotes, la Banque de Chypre et Marfin Popular ont dû avaler la dépréciation de la dette grecque aux mains des créanciers privés décidée fin 2011 par les dirigeants de la zone euro.

Outre l'exposition à la Grèce, le secteur bancaire chypriote a grossi grâce à l'afflux de fonds russes à partir de l'effondrement de l'Union soviétique en 1991.

Le secteur bancaire représente désormais huit fois la taille du PIB chypriote. Ce ratio était de dix fois pour la petite Islande et de plus de quatre fois pour l'Irlande avant leurs crises. Dans les deux pays, les banques avaient profité de financements bon marché pour se jeter à corps perdu dans la spéculation.

Taux d'intérêt élevés, faible taxation - un traité règle notamment la double imposition avec la Russie - ainsi que la même tradition orthodoxe dans les deux pays expliquent l'afflux de fonds russes à Chypre. La ville de Limassol, centre financier de l'île, a été surnommée "Limagrad".

Le tiers des 70 milliards d'euros de dépôts bancaires à Chypre est détenu par des non résidents, pour la plupart russes. Au total, les dépôts ont augmenté de plus de 60% sur la période 2007-2012, selon les chiffres de la banque centrale.

Les spécialistes soulignent toutefois que les prêts accordés par les banques chypriotes sont financés à près de 100% par les dépôts. En Irlande et en Islande, les banques se finançaient sur les marchés et cela a signé leur arrêt de mort.

C'est en fait l'ampleur des entrées de capitaux à Chypre qui inquiète les autres pays européens, qui craignent que l'île ne soit devenue un paradis pour le blanchiment d'argent et la fraude fiscale. Selon la banque russe Alfa Bank, 70 milliards de dollars de fonds sortis illégalement de Russie ces 20 dernières années pourraient s'être déversés sur Chypre.

CONTRÔLE DES CHANGES ?

En 2011, le pays a de fait été la destination la plus importante pour les investissements directs russes. Ils se sont élevés à 121,6 milliards de dollars sur un total de 362 milliards, selon les données de la banque centrale russe.

L'agence de notation Moody's a indiqué la semaine dernière que les banques russes avaient environ 12 milliards de dollars de fonds placés dans les banques chypriotes à la fin 2012. Elle estime à environ 19 milliards de dollars le montant des dépôts des sociétés russes dans les banques chypriotes.

Ce sont des préoccupations qui ont incité les dirigeants de la zone euro le week-end dernier à taxer les comptes bancaires dans le cadre du plan de sauvetage.

Malgré l'exposition de Chypre à la Grèce, les dépôts son restés plutôt stables l'an dernier, en raison notamment de taux d'intérêt très élevés

Ces dix derniers jours toutefois, quand les rumeurs ont pour la première fois fait surface d'une mise à contribution des épargnants, deux milliards d'euros ont été retirés par les déposants russes, selon Thomas Keane, co-fondateur du cabinet d'avocats basé à Chypre Keane Vgenopoulou & Associates LLC.

Selon les termes proposés pour le renflouement de Chypre, une taxe de 20 à 30% sera instaurée sur les intérêts rapportés par les dépôts et le gouvernement devra faire en sorte de ramener le secteur bancaire à la moyenne européenne de 3,5 fois le PIB en 2018. L'instauration d'un contrôle des changes pourrait s'avérer nécessaire.

"Même si une solution de compromis peut être trouvée, la confiance dans la sécurité des dépôts bancaires à Chypre pourrait avoir été définitivement ébranlée, notamment chez les déposants non résidents (...)", commente Tristan Cooper, analyste crédit chez Fidelity Worldwide Investment.

"Cela risque de déclencher une fuite des capitaux une fois que les banques vont rouvrir et pourrait nécessiter l'imposition d'un contrôle des changes pour endiguer une escalade de la crise bancaire. Le parallèle avec l'Islande, qui elle aussi avait un système bancaire hypertrophié, sont préoccupants."

Danielle Rouquié pour le service français

par Carmel Crimmins et Michele Kambas