Valérie Pécresse, pensez-vous qu’il faille promouvoir l'investissement boursier des particuliers ?

VP : "Les entreprises françaises ont besoin de fonds propres et trop peu se tournent vers la Bourse pour ce qui est sa fonction première : lever des capitaux. Les introductions en bourse pâtissent notamment du faible nombre de particuliers qui investissent en bourse. Je crois qu’une économie alerte et créative devrait pouvoir s’appuyer sur un plus grand pourcentage d’investisseurs boursiers.

Il y a d’abord une question de pédagogie. Les investissements boursiers sont risqués et beaucoup de primo-investisseurs n’en ont pas eu assez clairement conscience au moment par exemple des vagues de privatisations. En même temps, sur le temps long, les investissements boursiers restent les plus rémunérateurs et il n’est pas juste de ne pas en faire profiter davantage de Français. Une juste pédagogie passe par le collège et le lycée où la vision présentée de l’économie est souvent très idéologique et peu favorable aux logiques de marché. Une partie des médias et du corps politique véhiculent du reste des préjugés très négatifs : un mot comme dividende est par exemple connoté négativement alors qu’il est la nécessaire et aléatoire rémunération d’un investissement en capital sans laquelle le développement des entreprises ne serait pas possible.

Les sites comme les vôtres contribuent positivement à informer sur les investissements boursiers. Il y a en France environ 6,5 millions de PEA : il serait souhaitable qu’il y ait autant d’investisseurs actifs, ce n’est pas du tout le cas. Je leur donnerai des occasions d’investissement puisque j’ai l’intention de céder pour au moins 15 milliards d’euros de participations minoritaires de l’Etat qui n’a rien à faire dans ce rôle au capital d’entreprises du secteur concurrentiel.

Comment rediriger la manne financière vers la durabilité au sens large (environnement et social). Comment faire en sorte de créer un réel ruissellement des richesses vers les populations et les services publics ? Qu’il s’agisse d’épargne, de dividende, ou de plus-values ?

VP : "Le terme de ruissellement utilisé par Emmanuel Macron ne me paraît pas très adapté. Il y a tout simplement dans un pays comme la France une très forte fonction de redistribution puisque les dépenses publiques ont représenté 60% du PIB en 2021. Les richesses créées financent des impôts parmi les plus élevés du monde qui permettent à l’Etat de financer des services publics et de soutenir les populations les plus fragiles. Le fait-il au mieux ? Non, notre pays mérite une meilleure performance publique mais il ne fait pas de doute que notre activité économique et financière est clef pour financer nos hôpitaux, nos écoles ou notre sécurité.

En matière sociale, je crois qu’il est de l’intérêt à long terme de notre pays de consolider le consensus national autour des entreprises. Il faut que celles-ci continuent d’associer leurs salariés à leur réussite. Je souhaite qu’à la fin de mon mandat les sociétés cotées puissent compter des actionnaires salariés pour au moins 10% de leur capital. Dans le même ordre d’idées, je supprimerai en deux temps le forfait social pour favoriser l’intéressement et la participation qui doivent être moins taxés et se transformer en un véritable dividende salarié (avec droit d’option entre la fiscalité des dividendes et celle des salaires).

Enfin, concernant le développement durable, les normes extra-financières se développent vite. Les sociétés cotées doivent promouvoir de nouveaux modèles de développement et les sociétés cotées sont ainsi des moteurs pour l’ensemble de l’économie. L’Etat aussi devra davantage montrer l’exemple, qu’il s’agisse de la rénovation thermique de ses bâtiments, de sa flotte automobile. Ces dernières années, ses politiques incohérentes et molles ont conduit à des condamnations pour "inaction climatique"."

Comptez-vous conserver ou modifier la fiscalité liée au PEA ?

VP : "Oui, je pense qu’il faut garder le cadre législatif et fiscal du PEA et du PEA-PME. Je pense que le plafond total d’investissement pourrait même être relevé."

Il reste encore en UE des paradis fiscaux, les scandales révélant les évasions massives sont récurrents, que proposez-vous ?

VP : "La lutte contre la fraude fiscale et sociale sera une des grandes priorités de mon mandat. En 2027, j’en escompte 15 milliards de recettes supplémentaires. Vu l’ampleur du phénomène, c’est tout à fait réaliste si on se donne des moyens différents. Il y a longtemps par exemple que la Commission européenne engage la France à utiliser l’intelligence artificielle pour traquer des carrousels de TVA qui impliquent souvent d’autres Etats-membres : il faut adopter ces techniques. Le data mining et l’IA sont clefs dans de nombreux secteurs de la lutte contre la fraude fiscale.

Il y a également une question institutionnelle. Un ministre délégué à la lutte contre la fraude fiscale et sociale doit être placé auprès du ministre du budget. Il doit pouvoir coordonner l’ensemble des moyens de l’Etat (services fiscaux, douanes, DGCCRF, polices spécialisées), mais aussi les URSSAF ou d’autres organismes paritaires. Les services fiscaux et les URSSAF travaillent de manière trop distincte, il faut les rapprocher résolument.

Au niveau européen, la sortie du Royaume –Uni a retiré de fait des territoires comme Jersey ou l’ile de Man. Le Luxembourg a fait des progrès. Mais il reste une détermination à mettre en œuvre de manière renouvelée face à l’imagination des fraudeurs."

Quel cadre fiscal et légal faut-il appliquer aux crypto-monnaies ?

VP : " Nous devons nous féliciter d’avoir en France un système bancaire de qualité avec des leaders mondiaux et un écosystème Fintech très compétent et très en pointe. Nous devons saisir l’opportunité de la révolution de la blockchain et des cryptomonnaies qui accompagnent l’émergence d’un Internet des entrepreneurs où la valeur est mieux partagée pour rémunérer les créateurs.  

C’est pourquoi je ferai du développement de cette filière une priorité, dans le prolongement de mon combat à la tête de la région Ile-de-France pour renforcer la place financière francilienne post-Brexit.  Pour cela, je favoriserai une régulation pro-innovation. Aussi, le développement de "bacs à sable" réglementaires est une approche expérimentale intéressante qui permet de déroger partiellement et temporairement au cadre juridique en vigueur, avant éventuellement de l’adapter. 

Nous devons aussi former des régulateurs capables de comprendre ces enjeux. J’ai un programme très ambitieux pour réarmer l’Etat en matière numérique à tous les échelons : l’Etat doit être aussi en pointe sur ces technologies ! 

Par ailleurs, l’empreinte climatique de ces technologies est élevée. Je suis aussi consciente du risque de confiance inhérent aux cryptomonnaies qui n’assurent pas la réserve de valeur et font donc peser un risque spéculatif. A cela s’ajoutent la protection des jeunes qui y trouvent un grand intérêt. Demain avec le Metaverse et le développement des NFT, les cryptomonnaies seront peut-être la monnaie des jeunes…

Encourageons l’innovation mais n’oublions pas ce qui a été le fondement de nos régulations monétaires pour protéger les épargnants et la stabilité macroéconomique.  Je vois les actifs numériques comme une filière stratégique et je soutiendrai son dynamisme. Pour autant, comme j’ai eu l’occasion de l’exposer, mon projet pour le numérique est d’abord régalien et souverain. L’adoption d’un cadre européen sur les cryptoactifs avec le projet de règlement va dans le bon sens et je veillerai à ce bon équilibre entre innovation et protection."

L'intégralité du programme de Valérie Pécresse ici.