* Rare critique du chef de l'armée par un dignitaire chiite

* Bilan total des attentats : 126 morts

* Un groupe sunnite revendique l'attentat le plus meurtrier (Bilan actualisé, précisions)

QUETTA, Pakistan, 11 janvier (Reuters) - La communauté chiite du Pakistan a vivement mis en cause vendredi le puissant chef de l'armée pakistanaise au lendemain d'une vague d'attentats qui a fait 126 morts.

Il est rare que quiconque ose critiquer le général Ashfaq Kayani au Pakistan, où l'armée exerce une influence considérable sur les affaires de l'Etat.

Les critiques émises vendredi par les chiites illustrent leur frustration croissante à l'égard de l'incapacité des autorités à contenir les extrémistes sunnites.

"Je demande au chef de l'armée : qu'avez-vous fait de ces trois années supplémentaires que vous avez obtenues (à votre poste) ? Que nous avez-vous apporté si ce n'est davantage de morts ?", a déclaré Maulana Amin Shaheedi, chef du conseil national des organisations chiites du Pakistan, lors d'une conférence de presse.

La plupart des décès survenus jeudi ont été provoqués par un double attentat contre la communauté chiite hazara à Quetta, capitale de la province du Baloutchistan, près de la frontière afghane.

L'indignation des dignitaires chiites est telle qu'ils ont réclamé que l'armée prenne le contrôle de Quetta pour protéger leur communauté, minoritaire et régulièrement prise pour cible.

PAS D'ENTERREMENT

Ils ont en outre prévenu qu'ils n'autoriseraient pas l'inhumation des 93 victimes chiites de ce double attentat tant que leurs demandes n'auraient pas été satisfaites. Maulana Amin Shaheedi a affirmé que de nombreux cadavres gisaient encore sur la chaussée. "Ils ne seront pas enterrés tant que l'armée ne sera pas entrée dans Quetta", a-t-il dit.

Selon la tradition musulmane, les morts doivent être inhumés aussi rapidement que possible, et empêcher que des cadavres soient enterrés est un signe fort de douleur et de colère.

Les violences contre les chiites s'amplifient au Pakistan et certains d'entre eux vivent dans des quartiers en état de siège, selon Human Rights Watch (HRW). "L'année dernière a été la plus meurtrière pour les chiites, de mémoire d'homme", a déclaré Ali Dayan Hasan, de HRW. "Plus de 400 d'entre eux ont été tués et si les attentats d'hier constituent une indication, cela ne cesse d'empirer."

Le double attentat de Quetta a été revendiqué par le Lashkar-e-Jangvi (LeJ). Cette organisation sunnite interdite est historiquement liée à des éléments au sein des forces de sécurité pakistanaises, qui la perçoivent comme une alliée potentielle en cas de conflit avec l'Inde. Elle veut instaurer une théocratie sunnite en entretenant les violences chiites-sunnites. Les services de sécurité pakistanais démentent tout lien avec le LeJ.

"Le LeJ agit sur un front ou l'autre et ses militants vont et viennent en criant ouvertement "infidèle, infidèle, chiite infidèle" ou "mort aux chiites" dans les rues de Quetta et devant nos mosquées", a déclaré Syed Dawwod Agha, un haut responsable de la Conférence chiite du Baloutchistan.

"Nous sommes devenus une communauté de fossoyeurs. Nous sommes tellement habitués à la mort que nous avons toujours des linceuls en réserve", a-t-il ajouté.

Jeudi, un autre attentat avait fait 11 morts sur le principal marché de Quetta. Il a été revendiqué par l'Armée balouche unie.

Un attentat à Mingora, principale ville de la vallée du Swat, dans le nord-ouest, avait fait 22 morts. (Gul Yousufzai, avec Katharine Houreld à Islamabad; Jean-Stéphane Brosse, Bertrand Boucey et Hélène Duvigneau pour le service français, édité par Danielle Rouquié)