par Mariam Karouny

BEYROUTH, 29 janvier (Reuters) - Le Front al Nosra, branche syrienne d'Al Qaïda, a proposé lors d'une réunion organisée il y a une dizaine de jours de fusionner avec d'autres mouvements djihadistes, dont le puissant Ahrar al Cham, a-t-on appris de sources proches des deux groupes.

Abou Mohamed al Golani, son chef de file, se serait même dit prêt changer le nom du Front en cas d'accord, mais a exclu de rompre avec l'organisation fondée par Oussama ben Laden.

Groupes armés les plus importants du nord de la Syrie, Al Nosra et Ahrar al Cham se sont associés l'an dernier au sein de l'Armée de la conquête qui a offert à l'insurrection l'une de ses plus grandes victoires avec la prise d'Idlib, chef lieu de la province du même nom.

Leur fusion, disent certains, permettrait de rivaliser avec les djihadistes du groupe Etat islamique, ce qui pourrait leur valoir l'aide de puissances étrangères. Les dirigeants des deux groupes se sont toutefois séparés sans accord et le chef du Front al Nosra a imputé l'échec des discussions à son interlocuteur.

Quelques jours plus tard, des combats ont opposé les deux organisations à Salqin et à Harem, mais la médiation d'autres mouvements a permis l'instauration rapide d'une trêve, malgré les pertes subies des deux côtés.

Leurs rivalités sont toutefois de plus en plus marquées et de nouveaux affrontements éclateront tôt ou tard, dit-on dans les rangs islamistes, y compris au sein d'Ahrar al Cham, mais l'offensive imminente des forces gouvernementales dans le Nord-Ouest les pousserait pour le moment à la retenue.

"La situation a changé. L'échec des initiatives pourrait mettre le feu aux poudres", a déclaré un djihadiste d'Idlib proche des deux groupes. "Ce qui s'est passé a seulement empêché une guerre ouverte, un conflit total, mais il est difficile de savoir comment les choses vont évoluer", a-t-il ajouté.

NATIONALISME CONTRE DJIHAD MONDIAL

De tels affrontements compliqueraient encore la situation, qui n'est guère plus simple sur le terrain diplomatique. La conférence de Genève sur le conflit syrien s'est ouverte vendredi en l'absence de délégation de l'opposition et un diplomate occidental l'a jugée vouée à l'échec.

La défiance est réciproque entre membres d'Al Nosra et d'Ahrar al Cham. Les premiers reprochent aux seconds de faire le jeu de la Turquie, plutôt que de servir "les intérêts des musulmans".

Ahrar al Cham, qui siège au Haut conseil pour les négociations (HCN) mis sur pied avec l'appui de Ryad dans l'optique de la conférence de Genève, se définit par ailleurs comme un mouvement nationaliste, alors qu'Al Nosra prône le djihad international.

Ses dirigeants poussent le Front à rompre avec Al Qaïda pour s'impliquer plus directement dans la lutte contre le régime de Bachar al Assad. "Le problème, c'est le lien avec Al Qaïda et ses implications idéologiques. Al Nosra tient à son programme. Il ne veut pas en démordre", a déploré un commandant d'Ahrar al Cham, accusant le mouvement de "nuire à la révolution".

Dans les semaines qui suivi la prise d'Idlib, l'an dernier, les deux groupes se sont répartis sans problème les tâches et les territoires, mais des dissensions sont vite apparues, Ahrar al Cham soupçonnant le Front de vouloir le doubler.

"Al Nosra ne veut pas coopérer. Il veut dominer et n'accepte pas les autres", affirme un membre du mouvement.

Le Front assure sans convaincre n'avoir aucune ambition au-delà de la Syrie et du Liban. "Cet objectif affiché est provisoire. Une fois qu'ils auront gagné et qu'ils seront bien établis en Syrie, (...) ils rejoindront le djihad mondial qui est contraire à notre révolution. Notre révolution est limitée à la Syrie", insiste un autre combattant d'Ahrar al Cham. (Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Tangi Salaün)