"(Easybourse.com)

+55% pour les actions américaines, +95% pour les actions d'Asie émergente, +74% pour les métaux industriels... Seulement 18 mois après la faillite de la banque Lehman Brothers, les rebonds enregistrés sur un grand nombre de marchés financiers sont à la fois spectaculaires et très préoccupants. Spectaculaires parce qu'il y a quelques mois seulement, le système bancaire mondial était au bord de la rupture, sauvé dans l'urgence par l'action coordonnée des banques centrales. Mais pourquoi ne pas se réjouir de cette formidable reprise de l'activité financière ?

C'est que le coût de la crise va peser lourdement et durablement sur l'économie mondiale. En effet, le timide retour de la croissance dans les pays de l'OCDE est aujourd'hui essentiellement imputable à des politiques monétaires et budgétaires accommodantes (taux directeurs très bas, politiques non conventionnelles de rachat d'actifs, fort accroissement des dépenses publiques), alimentant l'excès de liquidité mondiale et l'euphorie actuelle des marchés financiers. Si cette distorsion importante entre la reprise de l'activité financière et celle de la sphère réelle résulte du retour au pair d'un certain nombre d'actifs décotés, elle illustre « le gonflement de la plus grande bulle de l'histoire » d'après Nouriel Roubini. A l'image des plus pessimistes, nous pourrions être tentés de voir des bulles se profiler sur différents marchés : actions émergentes, matières premières, dettes souveraines... Où se situent réellement les risques ?

La crise que nous venons de traverser montre que les conséquences des bulles de crédit sont potentiellement plus dévastatrices que celles des bulles irrationnelles. Cette différence de magnitude provient essentiellement du niveau de levier induit dans le financement des investissements. Dans le cas de la bulle récente, la crise s'est propagée bien au-delà du marché immobilier par le jeu du levier et de la titrisation, transformant une crise immobilière en crise du système bancaire international. Les conséquences d'ordre systémique de cette crise sont très éloignées des conséquences patrimoniales de la dot com bubble, essentiellement financée par l'épargne.

Quel type de bulle peut-on voir apparaître aujourd'hui ? A court terme, nous identifions des bulles potentielles dont le développement serait essentiellement liées à une mauvaise perception des fondamentaux.

La sous-évaluation du risque souverain des pays développés : un risque potentiel

Au-delà de l'impact direct de la crise sur la situation économique des pays de l'OCDE (marché de l'emploi, consommation et croissance durablement affaiblis), le creusement des déficits publics qui en découle et le récent épisode de la dette grecque soulèvent la question de la valorisation actuelle des dettes souveraines des pays développés. Les niveaux des taux 10 ans actuels, respectivement compris entre 3% et 3,5% en Zone Euro et autour de 4% aux Etats-Unis, sont en ligne avec les prévisions de croissance et d'inflation. Ils traduisent implicitement l'absence de prime de risque liée au très fort développement des déficits publics ou au transfert d'actifs à risque des bilans des banques vers les bilans des banques centrales. Pourtant, les risques de défiance vis à vis des dettes souveraines sont réels : effet d'éviction possible (hausse de la prime de risque demandée avec les volumes importants d'émission), soutenabilité des politiques d'austérité dans un contexte social difficile, coût du soutien des pays en difficulté (PIIGS) en Zone Euro...

Performances des marchés émergents : découplage ou spéculation ?

Depuis la faillite de la  banque Lehman Brothers en septembre 2008, les marchés boursiers émergents ont enregistré des performances spectaculaires : +95% pou l'Asie, +110% pour l'Amérique Latine, +105% pour l'Europe de l'Est, les niveaux post crise des indices boursiers étant sur le point d'être rattrapés pour les deux premières régions. Il nous semble normal que le recouvrement soit plus rapide dans ces pays, moins affectés par la crise bancaire et dont les niveaux de croissance potentielle sont significativement plus importants, que dans les pays développés. Mais cette situation est-elle pour autant durablement compatible avec le fort ralentissement de la consommation dans les pays de l'OCDE ? Cette problématique est particulièrement pertinente pour la Chine. Au moment où la probabilité que le gouvernement chinois opte pour une réévaluation du RMB est très significative, il est difficile d'en estimer l'impact sur son modèle de croissance, largement orienté vers les exportations. En effet, si la consommation interne peut constituer une force de soutien à la croissance, la pertinence des investissements réalisés par les gouvernements locaux (infrastructures, immobilier) pourrait remettre en question l'adéquation des fondamentaux économiques avec les ambitions de croissance affichées par le gouvernement, donc implicitement le niveau de valorisation actuel du marché boursier chinois.

Le cas des marchés de matières premières : bulles à répétition

Durant ces deux dernières années, les cours des matières premières ont connu des variations sans précédent, à l'image du cours du pétrole (Brent) qui a progressé de 51USD à 145USD le baril entre janvier 2007 et juillet 2008, pour s'effondrer à 34USD en décembre 2008 et enfin se stabiliser autour de 85USD aujourd'hui. Durant la même période, des mouvements tout autant significatifs (bien que de moindre ampleur) ont été constatés sur les cours des métaux industriels ou sur ceux des matières premières agricoles. Bien loin d'avoir été générées par de simples évolutions des facteurs fondamentaux (évolution de la demande, des stocks et des niveaux de production), ces mouvements sont en partie imputables à des prises de positions spéculatives. En plus d'attirer les investisseurs avertis comme certains gérants hedge funds (Global Macro, CTAs),  les matières premières - au travers des marchés à terme et des produits structurés - sont en effet de plus en plus considérées comme une source de diversification par les investisseurs institutionnels. De plus, le développement rapide du marché des ETF et des trackers spécialisés ouvre l'accès de ces marchés très spécifiques aux petits porteurs, dont la présence (certes très limitée aujourd'hui) aura pour effet d'accroître les comportements irrationnels sur ces marchés.

Déséquilibres structurels et excès de liquidité mondiale : une usine à bulles

Au-delà des bulles qui sont aujourd'hui susceptibles de se développer sur les marchés émergents, les marchés de matières premières ou de la dette souveraine, le système financier mondial est en proie à un déséquilibre structurel qui rend inéluctable le développement des bulles spéculatives à long terme. En effet, tant que le financement récurrent des déficits des pays de l'OCDE sera alimenté par les excédents budgétaires de la Chine et des pays exportateurs de matières premières, l'équilibre des marchés financiers sera perpétuellement déstabilisé par les effets pervers de l'excès de liquidité mondiale. La crise de 2007-2008 en est un exemple frappant.

- 07 Avril 2010 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

"