La BCE a réduit le rythme de son programme d'impression monétaire depuis des mois, mais elle a jusqu'à présent évité de s'engager sur une date de fin du programme, craignant que la guerre en Ukraine et la flambée des prix de l'énergie ne changent soudainement les perspectives. Elle est d’ailleurs en retard sur la plupart des autres grandes banques centrales, dont beaucoup ont commencé à relever leurs taux d'intérêt l'année dernière. Au cours des deux derniers jours seulement, les banques centrales du Canada, de la Corée du Sud et de la Nouvelle-Zélande ont toutes augmenté le coût des emprunts.

Pour l'instant, la BCE prévoit de mettre fin aux achats d'obligations, communément appelés "assouplissement quantitatif" ou “quantitative easing”, à un moment donné au cours du troisième trimestre, et de relever les taux d'intérêt "quelque temps" après cela. Approuvé le mois dernier, ce programme vaguement formulé est déjà remis en question, car des forces opposées placent le Conseil des gouverneurs devant un dilemme. D'une part, l'inflation atteint déjà un niveau record de 7,5 % et d'autres augmentations sont encore à venir. D'autre part, l'économie de l'Union européenne stagne, au mieux, et l'impact de la guerre touche à la fois les ménages et les entreprises.

"Compte tenu des niveaux élevés d'incertitude, (la BCE) voudra probablement maintenir l'optionalité et la flexibilité", a déclaré Nick Kounis, économiste chez ABN Amro. "Toutefois, le ton de faucon (en anglais faucon se dit “hawk” qui fait référence aux partisans d’une politique monétaire plus stricte) devrait s'intensifier, ne laissant aucun doute sur le fait que le résultat le plus probable dans les mois à venir est la fin des achats nets d'actifs et, par la suite, des taux directeurs plus élevés."

En effet, une multitude de responsables politiques conservateurs, dont les gouverneurs des banques centrales d'Allemagne, des Pays-Bas, d'Autriche et de Belgique, ont tous plaidé en faveur d'une hausse des taux d'intérêt, craignant que l'inflation élevée ne se prolonge trop longtemps.

En outre, les prévisions d'inflation à long terme, qui constituent un indicateur clé de la crédibilité de la politique, ont dépassé de manière décisive l'objectif de 2 % de la BCE, même si les salaires n'ont pas encore réagi à la hausse des prix.

Des hausses de taux ?

Ainsi, bien que la politique devrait rester inchangée lors de la réunion de jeudi, la directrice de la BCE, Christine Lagarde, pourrait être mise sous pression pour signaler plus fermement que le soutien sera réduit dans les mois à venir. "Lagarde pourrait faire allusion à une fin conditionnelle des achats (d'actifs) en juin, ouvrant la possibilité d'une première hausse des taux en septembre", a déclaré Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet. "Alternativement, elle pourrait simplement s'abstenir de repousser les prix du marché, ce qui est cohérent avec un lift-off en septembre de toute façon."

Les marchés tablent désormais sur une hausse combinée de 70 points de base du taux de dépôt de moins 0,5 % de la BCE cette année, même si aucun des 25 responsables politiques de la BCE n'a appelé à un resserrement aussi agressif.

La prudence des responsables politiques est alimentée par les perspectives économiques, qui se détériorent rapidement. Les prix élevés de l'énergie drainent l'épargne des ménages et l'incertitude de la guerre freine les investissements des entreprises. Les banques resserrent également l'accès au crédit, comme elles le font naturellement pendant les guerres, ce qui risque d'exacerber le ralentissement de l'activité.

Les colombes de la politique (en anglais colombe se dit “dove”, et ce mot fait référence aux partisans d’une politique monétaire accomodante), quant à elles, affirment que la majeure partie de l'inflation est le résultat de chocs d'approvisionnement externes et que l'inflation diminuera naturellement avec le temps. En fait, les prix élevés de l'énergie ont tendance à être déflationnistes à long terme parce qu'ils freinent la croissance, d'où le risque d'une inflation trop faible.

"Une question clé est de savoir si le flux d'énergie russe vers l'Europe restera fluide. Si des restrictions de volume devaient s'ensuivre, le risque d'une récession de la zone euro augmenterait considérablement, ce qui inciterait probablement la BCE à plus de prudence", a déclaré Reinhard Cluse, économiste d'UBS.

Pourtant, si l'on met en balance les deux forces opposées, la BCE est susceptible de voir un risque plus important d'une inflation plus élevée, même si les décideurs politiques continueront à agir par petites touches, se tenant prêts à changer de cap à court terme.