par Noëlle Mennella et Dominique Vidalon

Les actionnaires de référence du numéro deux mondial de la distribution, le groupe Arnault et Colony Capital, pourraient en profiter pour relancer l'idée d'une vente du pôle hard discount (enseignes ED en France et Dia en Espagne) ou d'une introduction en Bourse de Carrefour Property, la foncière créée en 2005.

En mars 2007, Arnault et Colony - qui se refusent aujourd'hui, comme Carrefour, à tout commentaire - ont investi près de trois milliards d'euros pour prendre, via leur véhicule d'investissement Blue Capital, 13,5% capital du groupe. Sur le papier, ils en sont de leur poche puisqu'à quelque 32 euros environ au cours de mercredi, l'action Carrefour est loin des 50 euros environ auxquels Blue Capital est devenu actionnaire.

Carrefour a abaissé mardi soir pour la deuxième fois en six semaines son objectif de profits pour 2010, en invoquant une aggravation de ses charges au Brésil.

"La crédibilité du groupe va logiquement en souffrir", commente Christian Devisme, analyste chez CM-CIC, et Bernstein Research se dit "renforcé (dans son) scepticisme sur les objectifs financiers à long terme".

LA RÉPUTATION DE LARS OLOFSSON EN JEU

Au-delà du choc causé par cet avertissement, le marché s'interroge sur la stratégie du distributeur notamment pour relancer ses hypermarchés, écrit pour sa part Exane BNP Paribas.

"Le management est confiant, mais pas le marché, que le concept de Planet tiendra ses promesses. Mais même si le groupe a raison, l'impact de Planet ne sera probablement pas visible avant la fin 2011", précise l'intermédiaire.

Carrefour a présenté à la mi-septembre un plan de 1,5 milliard d'euros pour relancer ses hypermarchés européens. Un mois plus tard, Lars Olofsson, son directeur général, faisait savoir que la transformation de cinq hypermarchés français, initialement prévue en 2010, était repoussée à 2011.

Cette nouvelle a renforcé les doutes exprimés par certains analystes dès la présentation de cette stratégie de "réenchantement" des hypers de Carrefour.

Avec d'autres analystes, Nathalie Berg (Planet Retail) considère que le discours du groupe a été "très optimiste, peut-être trop confiant". Pour elle, "si le concept échoue, il entraînera avec lui la réputation de Lars Oloffsson".

Sous couvert d'anonymat, un autre analyste affirme que les objectifs pour 2013 et 2015 dévoilés en septembre "ont été considérés unanimement comme extrêmement ambitieux, voire totalement irréalisables" et qu'"aucun analyste ne les a introduits dans ses modèles".

Au final, alors que les experts réclament des preuves d'une relance des hyper, Lars Olofsson a reconnu mardi que ceux-ci avaient perdu des parts de marché en septembre et en octobre.

Les analystes se montrent également perplexes face aux choix d'un groupe qui a vendu sa filiale thaïlandaise mais a annulé la cession de ses actifs en Malaisie et à Singapour en expliquant

qu'il pouvait finalement y créer plus de valeur par lui-même.

"Casino est sorti des pays problématiques mais n'a jamais vendu un bijou de famille. Le problème de Carrefour, c'est que son actionnariat ne donne pas le temps au management de faire la recovery des fondamentaux", déplore un expert de la valeur.

Et un autre ajoute : "Carrefour a un discours opportuniste sur les pays émergents comme sur le hard discount, et on se demande s'il n'est pas forcé par certains actionnaires un peu activistes qui voudraient que Carrefour retrouve sa splendeur au niveau boursier".

UN NON-SENS STRATÉGIQUE

Chez Exane BNP Paribas, l'analyste estime qu'avec la très mauvaise passe que traverse Carrefour "le management est affaibli et que des activistes pourraient en profiter pour demander d'autres cessions d'actifs".

Il évoque la rumeur persistante d'un désinvestissement du hard discount en mentionnant une valorisation de 3,5 à 4,5 milliards d'euros, soit 5 à 6 euros par action. Mais il estime que, tout en étant un non-sens sur le plan stratégique, cela pourrait permettre le versement d'un dividende extraordinaire ou des rachats d'actions, ce qui ferait rebondir le titre.

"Une telle cession n'a d'intérêt que parce qu'elle doperait le cours de Bourse", renchérit un autre expert qui, sur la base d'un chiffre d'affaires de 10 milliards d'euros, valorise le hard discount entre 5 et 7 milliards, soit 10 euros par action.

Lui aussi juge très négativement une telle hypothèse en notant que le hard discount de Carrefour occupe la troisième place au niveau mondial, que ses positions sont fortes en Espagne et qu'il a un potentiel de développement à moyen terme en Asie et en Amérique latine.

Les analystes rappellent qu'en 2007 déjà Blue Capital avait suggéré une cession du hard discourt, qui représente actuellement 11% des ventes de Carrefour et 7% de ses profits.

Selon eux, Blue Capital pourrait aussi relancer le projet d'introduction en Bourse d'une partie de Carrefour Property. Interrogé à ce sujet en mai, Lars Olofsson avait répondu qu'il n'était "pas favorable à une opération purement financière (...) sauf si c'est pour financer, par exemple, une acquisition".

Et il avait ajouté : "Je n'exclus donc pas de mettre en Bourse une partie minoritaire de Carrefour Property pour cristalliser la valeur de nos actifs immobiliers."

Edité par Dominique Rodriguez