"Un changement de régime sur le risque systémique dans la zone euro est à craindre en 2014" alors que l'engagement du président de la BCE, Mario Draghi, de faire tout son possible pour sauver la monnaie unique est parvenu jusqu'à présent à préserver la stabilité du bloc, a déclaré Eric Chaney jeudi lors d'une conférence de presse.

Pour lui, les banques de la zone euro vont être confrontées à un triple risque et les avancées sur l'union bancaire pourraient se révéler insuffisantes pour y faire face.

La Banque centrale européenne procédera au premier trimestre de l'an prochain à un examen de la qualité des actifs et de la solidité des bilans des quelques 130 banques de la zone euro dont elle assurera la surveillance directe dans le cadre du mécanisme de supervision bancaire unique.

Après les critiques suscitées par les tests de résistance réalisés l'été dernier sous l'égide de l'Autorité bancaire européenne, qui n'avaient pas permis de prévenir la faillite des banques chypriotes, l'Europe n'a pas le droit à l'erreur.

"Même à la BCE, ils sont inquiets de ce qu'ils vont trouver", estime Eric Chaney pour qui "deux choses font peur": "des actifs de plus mauvaise qualité que ce qui a été révélé jusqu'à présent ou dont la qualité s'est détériorée avec la crise", et le "syndrome japonais des 'zombie banks'", ces établissements qui préfèrent maintenir à flot des entreprises en difficulté plutôt que de devoir constater des pertes susceptibles de les acculer à la recapitalisation.

La prise en compte par les investisseurs de la mise à contribution des créanciers privés (bail-in) en cas de recapitalisation ou de faillite d'une banque risque aussi d'entraîner une hausse de leurs coûts de financement.

Les actionnaires et les détenteurs de dette subordonnée et senior étant "bail-inables" à partir du 1er août 2013, l'assouplissement des conditions de financement des banques observés depuis l'été 2012 pourrait être remis en cause, les investisseurs exigeant une prime pour rémunérer un risque désormais plus élevé.

Cette remontée des coûts de financement risque de désavantager un peu plus les établissements fragiles au risque d'accroître la segmentation des marchés du crédit au sein de la zone euro, à laquelle la BCE s'efforce pourtant de remédier.

"BOMBE POLITIQUE"

Les coûts de financement des banques de la zone euro seront aussi affectés par la remontée des taux longs liés à la sortie progressive par la Réserve fédérale américaine de sa politique monétaire ultra-accommodante, contre laquelle la zone euro ne sera pas totalement immunisée.

Face à ce triple risque, les avancées sur la voie de l'union bancaire permettent d'apporter des réponses mais elles ne sont pas allées jusqu'à la mise en place d'un mécanisme unique de résolution des crises bancaires.

Pour l'Allemagne, la mise en place de ce mécanisme nécessite pour des raisons légales et institutionnelles un changement des traités européens. Pour d'autres pays de la zone euro, France en tête, un changement des traités n'est pas envisageable car "il nécessiterait un référendum dont on connaît le résultat", résume Eric Chaney.

Il estime que la récession que connaissent plusieurs pays du bloc, depuis plusieurs années pour certains d'entre eux, constitue une véritable "bombe politique".

Il rappelle ainsi que le produit intérieur brut par tête en volume en Italie est aujourd'hui au même niveau qu'en 1998, soit quinze ans de perdu. Il n'a progressé que de 0,4% par an au Portugal, de 0,7% en Grèce et de 0,8% en France.

LA BCE "À COURT DE MUNITIONS"

Face à cette situation, "la BCE est à court de munitions", estime Eric Chaney ajoutant que l'assainissement des bilans bancaires est un préalable au redémarrage du crédit et donc de l'activité mais que la BCE ne peut l'imposer seule.

La parade trouvée à la crise des dettes souveraines par Mario Draghi avec les opérations monétaires sur titres (OMT) a en revanche épuisé ses effets.

"On a atteint les limites de l'instrument OMT : personne ne l'a utilisé et les pays (qui auraient pu y recourir) sont toujours en récession", relève-t-il.

Il constate en revanche que "nous sommes un peu revenus à la situation du début de l'Union monétaire : quand les taux allemands montent, ceux des partenaires de l'Allemagne montent plus et quand ils baissent en Allemagne, ils baissent plus chez ses partenaires".

L'économiste ne s'attend pas à une remontée des taux longs aux Etats-Unis au-delà de 2,5% à l'horizon de la fin d'année, la Fed cherchant avant tout à préserver la reprise, ce qui devrait limiter les tensions sur les rendements au sein de la zone euro.

"Si les taux allemands montaient trop, les taux italiens, espagnols voire français pourraient retrouver une zone de danger", prévient-il toutefois.

Il y a certainement une grande inquiétude de la BCE" estime Eric Chaney car "si sur le niveau des taux, l'Europe est en partie otage des Etats-Unis, sur les écarts de taux (entre pays de la zone euro), elle est otage d'elle-même".

Marc Joanny, édité par Marc Angrand