Karima Delli (Les Verts/Ale) membre de la commission emploi et affaires sociales (EMPL), fait le point sur le rapport qui sera présenté le 15 janvier 2014 à la séance plénière du Parlement européen.


Ce rapport d'initiative a pour vocation d'améliorer l'efficacité de l'inspection du travail en Europe, dans le but d'assurer un meilleur respect du droit du travail. Selon vous, quels éléments juridiques à débloquer sont dès aujourd'hui indispensables afin d'améliorer la santé et la sécurité au travail ?


Si la législation ne fait pas tout, puisque c'est sa bonne mise en œuvre et son appropriation par les acteurs de terrain qui va concrètement améliorer les choses, la marge de manœuvre pour renforcer le socle juridique européen est conséquente. C'est la robustesse mais aussi la cohérence de ce socle juridique qui permettra aux inspections du travail de mener une action efficace.


Nous devrions commencer par des choses très simples et rapides à mettre en œuvre. Par exemple, les partenaires sociaux ont signé en 2004 un accord cadre européen sur le stress au travail. Certains pays refusent de s'en saisir : la Commission devrait transformer cet accord en directive afin que chacun des 28 Etats Membres soit obligé d'en tenir compte. Autre exemple, le statut des lanceurs d'alerte, qui peuvent jouer un rôle décisif pour faire bouger les lignes comme cela a été le cas ces dernières années, notamment dans le scandale du Médiator. En décembre 2011, le Parlement européen demandait déjà à la Commission une législation européenne pour protéger les lanceurs d'alerte.


De façon plus ambitieuse, certains réclament la création d'une agence européenne d'inspection du travail qui permettrait une mise en commun des moyens pour veiller efficacement au respect des droits des salariés. Ce n'est pas une idée nouvelle et c'est très clairement une proposition que nous défendons au Parlement européen depuis plusieurs années.


Enfin, s'il est difficile d'avancer très vite en matière de protection des salariés, gardons-nous au moins de ne pas remettre en cause les acquis ! Derrière la proposition de « toilettage » de la législation européenne, dans le programme dit « Refit », se cache la volonté de certains de revoir à la baisse le niveau de protection assuré dans les directives Santé et Sécurité au Travail.


Le rapport souligne la concurrence déloyale à laquelle sont soumis les États membres, et on voit apparaître que toutes les thématiques sont liées: la fiscalité, la sécurité sociale, la protection des travailleurs, le travail non déclaré, etc. Le renforcement des inspections du travail sera-t-ile suffisant pour régler toutes ces problématiques soulevées ?


Oui, et non. Sur le terrain, aujourd'hui, c'est bel et bien l'incapacité des inspections du travail à remplir leur mission de respect du Code du travail qui pose problème. Il faut bien se rendre compte que pour un pays comme la France, le nombre de détachements irréguliers est deux fois plus important que le nombre de détachements légaux !


Mais soyons clairs : le régime juridique du travail détaché n'est pas suffisamment équilibré, en raison de la crise, ainsi que des élargissements successifs, et ce même si l'on obtient un respect intégral de la loi. Il faudra ré-ouvrir la directive de 1996 pour renforcer les droits des travailleurs détachés, ce qui tuera le dumping social à la source. Les écologistes proposent par exemple de remplacer la garantie du salaire minimum par une garantie du « salaire égal à travail égal ».


Selon vous, qu'est ce qui empêche aujourd'hui la Commission d'insérer dans sa directive sur les travailleurs détachés, des résolutions sur la protection du droit du travail et le renforcement du rôle des inspecteurs du travail ?


La directive de 1996 est le fruit d'un compromis difficile passé entre les pays européens, qui ont des intérêts nationaux différents à faire valoir. Il faut y ajouter le poids de lobbys d'employeurs très puissants qui ont tout à gagner à maintenir un dumping social « légal ». Enfin, l'idéologie dominante joue contre la protection des salariés, puisqu'une majorité de gouvernements européens comme de députés européens reste persuadée que les marchés du travail sont capables de s'auto-réguler. Le résultat, c'est que les institutions européennes ferment les yeux sur le nivellement par le bas des droits sociaux, ce qui passe très mal dans la population. A raison !


Selon vous, votre rapport permettra-t-il de d'influencer l'agenda de la Commission ?


La Commission Barroso II arrive en fin de course, après un mandat où elle n'a pas tenu ses promesses. En 2009, M. Barroso avait promis qu'il réformerait la directive de 1996 sur le travail détaché, car nous étions déjà nombreux à nous inquiéter de son incapacité à contrer la concurrence déloyale. Notre rapport va plutôt influencer la future Commission européenne, qui se mettra en place cet été, suite aux élections européennes.


Le Parlement européen et le Conseil ont fait leurs propositions de correction de la directive de 1996, directive qui autorise les entreprises à faire travailler leurs salariés dans l'Union européenne, à condition de respecter le droit du travail des pays hôtes, les cotisations sociales étant payées dans le pays d'origine. Quels sont les changements majeurs apportés à la directive de 1996 ?


La directive telle que révisée par le Parlement et le Conseil prévoit de meilleurs contrôles du respect des droits des salariés par les inspections du travail, et une coopération renforcée entre les États afin que plus aucun salarié ne tombe dans un trou noir juridique. Des dispositions nouvelles sont prévues pour que les Etats membres luttent efficacement contre les fraudes : faux-détachements, faux travailleurs indépendants, sociétés boites-aux-lettres…


Pour faire respecter les droits des travailleurs, il est essential que les Etats aient la liberté de contrôler tout ce qu'ils estiment nécessaires afin de faire respecter le droit du travail. Il semble acquis que nous aurons une liste « ouverte » de mesures administratives de contrôle. Les Inspections du travail auront donc enfin les coudées franches, c'est un coup dur porté aux employeurs véreux.


Enfin, la responsabilité conjointe et solidaire au sein de la chaîne de sous-traitance est autorisée, ce qui permettra d'en finir avec les abus de la sous-traitance en matière de salaires minimum et de couverture sociale. Sur ce point précis, le Conseil s'est accordé à faire valoir ce principe dans le secteur, particulièrement sensible du bâtiment. De son côté, le Parlement plaide clairement pour une généralisation de la responsabilité conjointe et solidaire à l'ensemble des secteurs concernés. En tant qu'écologiste, je pense notamment à l'agro-alimentaire qui fait également les frais du dumping social en Europe et que nous considérons comme un secteur clef sur le plan économique, mais aussi de la santé publique.


Quelles vont être les conséquences pour les entreprises/ les employeurs?


Dans le secteur du bâtiment, les grands donneurs d'ordre comme le français Bouygues vont y réfléchir à deux fois avant de recourir à des sous-traitants véreux, puisqu'en cas de fraude, ils devront en assumer la responsabilité juridique et financière.


Pour les entreprises qui respectent la loi, elles vont tirer profit de ces nouvelles règles, car elles récupéreront des marchés publics qu'elles avaient pris l'habitude de perdre à cause de la concurrence déloyale. Pour les entreprises véreuses, elles seront victimes des nouvelles clauses qui établissent de lourdes sanctions contre les fraudes, que ce soit le recrutement irrégulier de travailleurs détachés, ou l'utilisation de sociétés boites-aux-lettres pour réduire les cotisations patronales.


Le détachement des travailleurs étant une activité transfrontalière, le rapport stipule qu'il convient d'améliorer la coopération administrative entre les États membres. Cette amélioration passe par une meilleure utilisation du formulaire A1. De quoi s'agit-il ?


Le formulaire A1 est une attestation énonçant la législation applicable à un travailleur qui n'est pas affilié dans le pays où il travaille. Dans le cadre des inspections du travail, il est fondamental, puisqu'il permet de prouver qu'un travailleur verse des cotisations sociales dans son pays d'origine, et dans quel pays d'origine. C'est le cas des travailleurs détachés ou de ceux qui travaillent dans plusieurs pays européens à la fois.


Le premier enjeu autour de la bonne utilisation de ces formulaires consiste à faciliter leur diffusion, entre salarié, employeur, inspecteur du travail, et enfin sécurité sociale des pays d'accueil et d'origine. Aujourd'hui, le délai maximum autorisé pour fournir ce document est 12 mois, et il n'y a pas de sanction si le délai n'est pas respecté. En plus, il est possible d'antidater ces formulaires, ce qui n'incite pas à des comportements vertueux.


Nous avons beaucoup progressé sur ces enjeux mais il faudra aller plus loin lors des négociations interinstitutionnelles, qui s'ouvrent en janvier.

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