BRUXELLES, 1er septembre (Reuters) - Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, réunis samedi à Bruxelles, ont désigné le Premier ministre polonais Donald Tusk et la ministre italienne des Affaires étrangères Federica Mogherini pour occuper deux des principales fonctions de l'Union européenne.

A 57 ans, le chef du gouvernement polonais succédera le 1er décembre au Belge Herman Van Rompuy au poste de président du Conseil européen.

La ministre italienne, âgée de 41 ans, va devenir le 1er novembre Haut Représentant de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité commune, fonction inaugurée il y a cinq ans par la Britannique Catherine Ashton, et vice-présidente de la Commission européenne.

Avec ces deux nominations, qui s'ajoutent au choix annoncé fin juin de Jean-Claude Juncker pour présider la future Commission, le "casting" communautaire issu des élections européennes du mois de mai continue de prendre forme.

DONALD TUSK

* Une nomination qui reflète l'émergence de la Pologne

* "Faucon" sur le dossier russe, Tusk est réputé pour ses qualités de médiateur

* Germanophone, son anglais est limité et il ne parle pas français

VARSOVIE - Natif de Gdansk, le berceau du syndicat Solidarité dont il a créé la branche étudiante, Donald Tusk a fait ses classes dans la lutte contre le régime communiste dans les années 1980.

Diplômé d'Histoire, il a été battu à la présidentielle de 2005 avant de remporter deux ans plus tard les élections législatives à la tête de la Plate-forme civique (PO), une formation de droite libérale. Il a été reconduit au poste de Premier ministre aux élections de 2011.

"Mon expérience en tant que Premier ministre montre qu'il est possible d'associer discipline budgétaire d'un côté et croissance économique de l'autre, il est possible de combiner ces deux défis", a-t-il dit dans son premier discours d'après-désignation. "Nous devons aller chercher la croissance dans le cadre de la responsabilité." (voir )

A la tête du gouvernement polonais, Donald Tusk a favorisé un rapprochement avec Berlin, portant les relations bilatérales avec l'Allemagne à un niveau sans précédent dans l'Histoire récente.

En revanche, à mesure que s'aggravait la crise en Ukraine, il est apparu comme l'un des chefs de file des "faucons" face à la Russie de Vladimir Poutine, dont il redoute, comme d'autres dirigeants d'ex-pays communistes, les ambitions territoriales.

La ligne dure qu'il incarne face à Moscou pourrait le mettre en porte-à-faux avec Berlin, Paris et Rome, qui s'inquiètent des conséquences d'une dégradation des relations avec la Russie sur leurs propres économies et sur les livraisons de gaz russe.

Sa nomination à la présidence du Conseil européen illustre aussi l'émergence sur la scène européenne de la Pologne, qui a évité la récession après la crise financière de 2007-2008, et le rééquilibrage entre les Etats membres de l'Union.

Son prédécesseur, Herman Van Rompuy, venait d'un pays membre fondateur de l'ensemble communautaire et signataire du traité de Rome (1957) quand la Pologne n'est entrée dans l'UE qu'en 2004 à la faveur de la vague d'élargissement à l'est.

Tusk, s'il est germanophone, maîtrise mal l'anglais et ne parle pas français. Un handicap à l'heure de succéder au polyglotte Van Rompuy.

"Sa nomination va changer de façon spectaculaire le statut international de la Pologne. Pour être honnête, à l'exception du pape Jean Paul II, aucun Polonais n'a exercé de fonction aussi élevée", note Pawel Swieboda, qui dirige à Varsovie le centre d'études DemosEurope.

En Pologne, ses partisans mettent en avant ses talents de médiateur qui lui ont permis notamment d'entretenir la cohésion de la Plate-forme civique. Au prix d'un musellement de toute dissension, ajoutent ses détracteurs.

"A la tête de son parti, il a éliminé tous ses adversaires potentiels et paralysé le débat intellectuel", accuse le politologue Kazimierz Kik, qui juge sa nomination "illogique du point de vue des intérêts de l'UE et des aspirations internationales, parce qu'elle va entamer davantage encore les relations avec la Russie".

FEDERICA MOGHERINI

* Ministre depuis six mois, elle doit se défendre dans un procès en inexpérience

* Mogherini a été soutenue par le bloc des sociaux-démocrates

* Ses détracteurs la jugent trop conciliante avec la Russie

ROME - Comme Catherine Ashton il y a cinq ans, Federica Mogherini va devoir démontrer qu'elle a la carrure pour incarner la politique étrangère de l'Union européenne.

Comme sa devancière, elle qui n'est ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Matteo Renzi que depuis le mois de février devra faire taire les cyniques qui estiment qu'en la nommant, les Vingt-Huit ont cherché avant tout à préserver leur autonomie en matière de politique extérieure.

Son approche de la crise ukrainienne et des relations avec la Russie, jugée trop conciliante par les Etats issus de l'ex-Europe communiste, a différé sa nomination.

Dans certaines capitales européennes, on estimait que la grande dépendance de l'Italie vis-à-vis de la Russie pour ce qui est de ses approvisionnements en gaz et de ses exportations ne plaidait pas en faveur de sa candidature. Elle a finalement été validée avec l'appui marqué des sociaux-démocrates européens, Renzi en tête.

Dans sa première déclaration après sa nomination, Mogherini a insisté sur la nécessité de maintenir un canal diplomatique avec Moscou. "Tout en réfléchissant et en travaillant au niveau de sanctions, nous devons aussi laisser la porte ouverte à une solution diplomatique (...) en espérant qu'une combinaison, une combinaison intelligente, sera efficace", a-t-elle dit.

Si son expérience ministérielle peut paraître faible, Mogherini a consacré toute sa carrière aux questions diplomatiques et de défense, et ses collègues la décrivent comme une femme de dossier, travailleuse et informée.

"Elle est très sobre, très sérieuse, ce n'est pas une personnalité pittoresque ou haute en couleur", dit Luca Bader, membre comme elle du Parti démocrate (PD) et qui a travaillé avec elle pendant de nombreuses années.

Walter Veltroni, l'ancien dirigeant du PD qui l'a nommée en 2007 au comité exécutif du parti, dit avoir "été immédiatement frappé par sa rigueur et par ses bases solides".

Contrairement à Donald Tusk, elle parle couramment anglais et maîtrise le français.

Face au procès en inexpérience instruit contre elle, Mogherini réplique en affirmant qu'à 41 ans, elle n'est "pas aussi jeune" que cela - elle souligne qu'elle a deux ans de plus que Renzi.

Elle se présente aussi comme appartenant à "une nouvelle génération de dirigeants européens" et espère être en mesure de combler le fossé qui se creuse entre les Européens et leurs institutions politiques.

Diplômée en science politique à l'université romaine de la Sapienza, auteur d'une thèse sur l'islam politique à l'Institut de recherche et d'études sur le monde arabe et la Méditerranée d'Aix-en-Provence (IREMAM), elle a été élue députée en 2008 et a siégé aux commissions des Affaires étrangères et de la Défense de la Chambre des députés.

Dans l'immédiat, elle ne devrait pas récupérer le dossier des négociations sur le nucléaire iranien: Catherine Ashton, qui coordonne le groupe du P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité + l'Allemagne), devrait continuer à piloter les discussions avec l'Iran qui sont dans une phase décisive même si son mandat s'achève le 31 octobre, avant la nouvelle date-butoir des négociations fixée au 24 novembre. (Pawel Sobczak et Wiktor Szary à Varsovie; Gavin Jones à Rome; Henri-Pierre André pour le service français)