* Le scénario d'une inflation temporaire paraît s'imposer

* Pas de "tapering" immminent aux Etats-Unis

* La Fed devrait normaliser sa politique avant la BCE

* La peur d'un "taper tantrum" n'a pas totalement disparu

par Patrick Vignal

PARIS, 11 juin (Reuters) - Les investisseurs, qui s'interrogeaient depuis des mois sur la nature de l'inflation, de retour sur les marchés après des années d'absence, paraissent avoir rallié la thèse des grandes banques centrales d'une hausse des prix due à des facteurs temporaires et appelée à s'apaiser.

Le débat est capital pour l'évolution des marchés, qui redoutent un emballement durable des prix susceptible d'entraîner un resserrement monétaire prématuré.

L'autre scénario, celui d'une inflation transitoire, est beaucoup plus favorable aux actifs financiers puisqu'il permet aux banques centrales de maintenir une posture accommodante et de continuer à injecter en abondance des liquidités.

L'indice des prix "core CPI" aux Etats-Unis, qui mesure l'évolution des prix en excluant les éléments volatils que sont l'alimentation et l'énergie, est ressorti jeudi au-dessus des attentes, en hausse de 0,7% le mois dernier par rapport à avril et de 3,8% sur un an.

Les investisseurs, qui ont appris parallèlement que les inscriptions au chômage aux Etats-Unis avaient touché la semaine dernière un creux de près de 15 mois (), ne s'affolent pas pour autant et pensent que la Fed, dont les annonces de politique monétaire tomberont mercredi prochain, n'annoncera pas dans l'immédiat la diminution progressive ("tapering") de ses achats de titres.

La banque centrale américaine ne devrait pas baliser ce "tapering" tant redouté avant août ou septembre, selon une enquête réalisée par Reuters auprès d'économistes.

LA BCE NE TOUCHE À RIEN

Le "tapering" lui-même ne devrait pas débuter avant 2022, pense Valentin Bissat, économiste et stratégiste de Mirabaud, qui souligne que 40% de la hausse des prix aux Etats-Unis sur le mois de mai provient de nouveau des prix des véhicules d'occasion et des billets d'avion.

"On maintient notre scénario de hausse temporaire de l'inflation", dit-il à Reuters.

Le marché obligataire paraît de son avis puisque le rendement des emprunts d'Etat américains à 10 ans, baromètre assez fidèle des anticipations d'inflation, a touché vendredi un plus bas depuis début mars à 1,432% pour s'orienter vers son repli hebdomadaire le plus marqué depuis un an avec une chute de près de 13 points de base.

Du côté de la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a relevé jeudi ses prévisions de croissance et d'inflation tout en s'engageant à maintenir un soutien massif au crédit et à l'activité, dont la diminution risquerait de faire monter les coûts de financement et de compromettre la reprise.

L'institution de Francfort n'a apporté aucun changement significatif à son programme d'urgence face à la pandémie (PEPP), doté d'une enveloppe de 1.850 milliards d'euros, et n'a pas abordé le calendrier de sortie de ce programme, prévu pour durer jusqu'en mars 2022.

Pour la zone euro, la BCE prévoit une inflation à 1,9% cette année, soit exactement dans sa cible d'un peu moins de 2%, puis à 1,5% en 2022 et 1,4% en 2023.

La situation est bien différente aux Etats-Unis, avec une inflation "core" désormais proche de 4%, et si la peur d'une normalisation monétaire mal maîtrisée ("taper tantrum") paraît reculer, elle n'a pas totalement disparu.

CHANGEMENT DE RÉGIME

La question centrale est de savoir si, comme le pense la Fed, les facteurs temporaires et les effets de base vont s'estomper ou si, au contraire, les pressions inflationnistes persisteront.

L'évolution de la consommation du secteur privé avec la réouverture des économies et l'effet sur les prix des programmes de soutien budgétaire massifs de l'administration Biden donneront une partie de la réponse.

Certains évoquent en outre la persistance de facteurs structurellement déflationistes comme la numérisation, la mondialisation ou encore l'évolution démographique.

D'autres préviennent toutefois que l'inflation pourrait s'installer durablement et changer la donne sur les marchés.

"Les marchés anticipent un scénario 'Boucles d'or' avec une inflation basse et une croissance plus forte comme tendance mais pourraient se retrouver à la place avec une inflation structurellement plus forte et une croissance plus faible", lit-on dans une note d'Amundi.

Un environnement "Boucles d'or", autrement dit ni trop chaud, ni trop froid, comme la meilleure assiette de porridge dans la maison des trois ours du célèbre conte, se caractérise par une inflation contenue et une croissance réelle mais modeste. Il a favorisé la longue séquence de hausse des actifs risqués interrompue au printemps de l'an dernier par la crise sanitaire.

Le nouveau régime qui s'annonce est différent, avec une inflation plus forte et plus volatile qui pourrait remettre en question la pertinence d'une allocation classique, à 60% en actions et 40% en obligations, dit-on chez Amundi.

"Les investisseurs devront intégrer l'inflation et augmenter la diversification pour répondre aux défis posés par des taux plus élevés et plus volatils", lit-on dans la note du numéro un européen de la gestion d'actifs. (édité par Blandine Hénault)