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(Easybourse.com) Comment considérez-vous les différents risques qui pèsent actuellement sur le secteur bancaire : crise des dettes souveraines, qualité des actifs, liquidité, régulation ?
Qu'il s'agisse de la crise des finances publiques ou de la question de la régulation, ou sur la qualité des actifs, l'incertitude qui se prolonge joue contre les banques et contre les économies. Dans le cas des finances publiques, le problème de la Grèce peut se reposer dans deux ans. Si les encours en jeux sont plus faibles que pour les actifs toxiques américains, pour autant ils sont importants.
Pour ce qui est de la régulation, nous devrions avoir des précisions cet été de la part du Comité de Bâle mais manifestement il faudra du temps avec de connaitre avec exactitude les conséquences sur les activités des banques. Au demeurant, un point que nous ne voyons nulle part évoquer et sur lequel Jacques de Larosière a mis à juste titre  l'accent est la qualité de la supervision. La crise bancaire de 2007-2008 n'était pas seulement dûe à la faiblesse de la régulation, mais également à celle de la supervision.

Nous sommes face à un cercle vicieux. Les institutions bancaires ont du mal à se refinancer, et ne sont pas très enclines à distribuer du crédit car elles  souhaitent auparavant être fixées sur les conditions de refinancement et de fonds propres à terme.
Si nous ne faisons rien, nous risquons d'avoir une situation à la japonaise : des taux d'intérêts très bas, un système bancaire fragile qui ne joue pas son rôle de financement de l'économie, et une déflation qui s'installe.  

Comment appréhendez-vous la crise des dettes souveraines ?
Cette crise m'inquiète par l'incertitude qu'elle crée davantage que par le fond du sujet.  Je pense que fondamentalement, on ne laissera pas un pays de la zone euro faire défaut. Mais je ne sais pas quel sera le dénouement pour l'affaire grecque, qui si elle est aujourd'hui calmée, n'est pas réglée pour autant.

Pensez-vous que les stress tests annoncés au niveau européen réussiront à calmer le jeu ?
Les stress tests américains avaient apparemment  réussi à rassurer le marché sur les banques américaines.
Ces stress tests en Europe sont nécessaires mais présentent un risque élevé : si ces opérations débouchent sur un succès, et que l'on parvient à démontrer que les banques présentent une solidité suffisante, un retour au calme sera obtenu.
En revanche, s'il reste un doute sur la qualité des tests, les inquiétudes seront renforcées.

Pensez-vous que nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle crise bancaire ?
Nous sommes en train de vivre une crise bancaire larvée, non pas une crise comme on a pu la vivre à la suite de la déroute de Lehman Brothers, mais une crise qui se caractérise par des doutes sur la capacité de refinancement et un risque de  gel du marché interbancaire.

Quel regard portez-vous sur le rapport de force qui se dessine entre d'une part les régulateurs et le lobbying bancaire d'autre part ? 
Le débat ou le combat porte sur le mauvais terrain. La question ne devrait pas être le montant total de fonds propres que les banques devront avoir. L'histoire démontre que ces fonds propres ne suffisent pas à éviter les difficultés. Il y a en revanche une vraie question portant sur le détail des règles de fonds propres suivant la nature des risques.

Les propositions du FMI sur la taxation bancaire à la suite du sommet de Pittsburg ont été mises de coté. Aujourd'hui les Etats font cavalier seul. Qu'en pensez-vous ?
Les banques doivent se remettre en état. Une taxe bancaire s'inscrit en opposition avec cet impératif. Le fait de les charger davantage n'est certainement pas une bonne chose.
Ensuite, une taxation au niveau national crée des distorsions de concurrence.
A présent, cette mesure a un caractère éminemment politique et ne peut être que très modérée faute de quoi  elle irait à l'encontre de l'intérêt général.

Vous ne pensez donc pas que cette taxation pourrait être un instrument de gestion de la crise future ?
Je ne le pense pas. Les fonds de garantie de dépôts ne sont généralement pas suffisants en cas de crise bancaire. Si nous voulons alimenter ces fonds à partir des recettes d'une taxe bancaire, nous avons un dilemme :
Ou bien on pèse très peu sur les banques, ce qui se justifie d'un point de vue économique, et dans ce cas on lève des fonds qui sont sans commune mesure avec les véritables risques possibles, ou bien on pèse lourdement sur les banques de manière à avoir des fonds de garantie à la mesure du risque, et dans ce cas on créé le risque en affaiblissant les banques. C'est une approche qui n'est pas cohérente intellectuellement.

Aujourd'hui les citoyens sont remontés à l'égard des banques, se disant qu'après avoir été sauvées, et après avoir affiché des profits record, elles sont en partie à l'origine de la crise des Etats…
Les banques ne sont pas à l'origine de la crise de la dette souveraine, elles n'ont pas crée les déficits... Je conçois que pour des raisons, disons politiques, une taxation soit mise en place, d'autant que les banques bénéficient aujourd'hui d'une certaine rente de situation puisqu'elles ont une marge de transformation très élevée. Mais cette taxe devra concerner des millions d'euros ou de dollars et non des milliards. Cela aura par conséquent un caractère quasi symbolique.

Propos recueillis par Imen Hazgui

*Président du directoire de Paribas de 1990 jusqu'à sa fusion en 1999 avec BNP, André Lévy-Lang est professeur associé émérite à Paris-Dauphine et administrateur de sociétés (AGF, de Dexia, de Schlumberger, de SCOR), membre du conseil de surveillance de Paris-Orléans, président de la Fondation du Risque, membre du conseil de la Fondation Europlace de Finance, de l'Institut des Hautes études scientifiques, de l'American Hospital in Paris, de l'Institut Français des relations internationales et du European Corporate Governance Institute.

- 29 Juin 2010 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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