par Lamine Chikhi

ALGER, 18 janvier (Reuters) - Un Français a passé un jour et deux nuits caché sous son lit, persuadé qu'il allait être découvert et tué. Un jeune Algérien a entrevu le cadavre de son chef français. Un ingénieur nord-irlandais n'oubliera jamais ces quatre camions chargés d'otages détruits par une frappe de l'armée algérienne.

La prise d'otages n'était pas terminée vendredi soir sur le site gazier de Tiguentourine, dans le Sahara algérien, mais ceux qui ont été libérés ou ont pu s'enfuir ont pu faire le récit des deux journées de terreur où ils ont frôlé la mort.

Quand les islamistes ont lancé leur offensive sur le complexe gazier mercredi avant l'aube, les centaines d'Algériens et les dizaines d'étrangers qui se trouvaient sur place, dans la partie résidentielle ou sur le site de traitement du gaz, se sont retrouvés pris au piège.

Les attaquants étaient avant tout à la recherche d'étrangers, a raconté Abdelkader, 53 ans, un ouvrier qui vit dans la ville d'In Amenas à quelques dizaines de kilomètres.

"Les terroristes nous ont dit au tout début qu'ils ne feraient pas de mal aux musulmans et qu'ils n'étaient intéressés que par les chrétiens et les infidèles", a affirmé Abdelkader, joint par Reuters au téléphone chez lui à In Amenas. "Nous les tuerons", ont-ils dit.

La voix tremblante d'émotion, Abdelkader a expliqué qu'il était parvenu à s'échapper en même temps qu'une bonne partie des Algériens retenus. "J'ai de la chance", a-t-il estimé.

Selon lui, "les terroristes semblaient connaître très bien la base (...), montrant qu'ils savaient où ils allaient."

Un autre Algérien, Azedine, opérateur radio âgé de 27 ans, dit avoir entrevu le cadavre de son supérieur français.

"Mon supérieur était un grand homme. J'ai beaucoup appris avec lui. Il a été tué mais je n'ai pas vu l'exécution. Tout ce que j'ai vu c'est son corps quand je suis parti en courant avec des collègues pour fuir la base", raconte-t-il à Reuters, apparemment encore sous le choc.

CEINTURES D'EXPLOSIFS

Un des preneurs d'otages s'était emparé de son badge d'identification pour l'accrocher à ses vêtements.

Parmi les étrangers qui ont eu la vie sauve figure Alexandre Berceaux, un employé de la société de restauration CIS Catering, qui fournit les repas sur la base.

"J'ai entendu un nombre énorme de tirs. Il y a eu une alarme pour nous dire de rester où nous étions, mais je ne sais pas si c'était réel ou si c'était un exercice", a-t-il déclaré vendredi sur Europe 1.

"Je suis resté caché pendant presque 40 heures dans ma chambre, sous le lit, j'avais mis des planches un peu partout", a-t-il raconté. Ses collègues algériens lui faisaient discrètement passer de l'eau et de la nourriture.

"J'étais complètement isolé (...). J'avais peur. Je me voyais déjà finir dans une boîte en bois", a-t-il déclaré de la base militaire où il a été emmené par l'armée algérienne avec d'autres otages libérés.

Les étrangers capturés par les ravisseurs étaient ligotés et certains ont été contraints de porter des ceintures d'explosifs alors qu'à l'extérieur l'armée algérienne encerclait le complexe, affirmant qu'elle ne négocierait pas.

Le deuxième matin, des otages ont été autorisés à téléphoner à la presse, les ravisseurs semblant vouloir ainsi contraindre l'armée algérienne à reculer.

Toujours prisonnier à l'intérieur du complexe, Stephen McFaul, un ingénieur nord-irlandais, s'est exprimé sur la chaîne de télévision Al Djazira.

"La situation se détériore. Nous avons contacté les ambassades et nous appelons l'armée algérienne à se retirer (...). Nous sommes inquiets parce que les tirs se poursuivent", a-t-il déclaré.

Peu après, il a été, avec d'autres otages, conduit à bord de cinq camions. Selon son frère, Brian McFaul, les forces algériennes ont tiré sur le convoi. L'ingénieur McFaul a survécu mais il a assisté à la destruction de quatre des véhicules.

"Le camion dans lequel était mon frère a eu un accident et, à ce moment-là, Stephen a pu s'échapper. Il pense que tous ceux qui se trouvaient dans les autres camions ont été tués." (Avec Eamonn Mallie à Belfast et Catherine Bremer à Paris; Danielle Rouquié pour le service français, édité par Guy Kerivel)