LONDRES/LOS ANGELES (Reuters) - Des médias internationaux ont annoncé la suspension de leurs opérations en Russie afin de protéger leurs journalistes après la promulgation vendredi par le président russe Vladimir Poutine d'une loi imposant une peine allant jusqu'à 15 ans d'emprisonnement pour la diffusion de "fausses informations", sur fond d'invasion lancée par Moscou en Ukraine.

La BBC a indiqué vendredi qu'elle suspendait temporairement le travail de ses journalistes en Russie pour assurer leur sécurité, alors que le site internet du groupe audiovisuel public britannique fait partie d'une série de sites internationaux d'information bannis par Moscou.

Par la suite, le groupe audiovisuel public Radio-Canada ainsi que Bloomberg ont annoncé avoir pris des décisions similaires.

Les chaînes américaines CNN et CBS News ont annoncé l'arrêt de leur diffusion en Russie, tandis que d'autres groupes ont choisi de ne plus communiquer l'identité de leurs journalistes basés dans le pays le temps d'évaluer la situation.

Alors que l'invasion de l'Ukraine, lancée la semaine dernière, a provoqué un tollé international, Moscou dénonce une guerre de l'information, qu'il entend gagner. Facebook a été bloqué en Russie et l'accès à Twitter a été restreint sur ordre du régulateur national.

Moscou accuse les ennemis de la Russie, tels que les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux, de répandre de fausses informations dans le but de semer la discorde au sein de la population russe.

Les élus de la Douma, la chambre basse du Parlement russe, a voté des amendements au code pénal pour rendre la "propagation de fausses informations" passible d'amendes ou de peines pouvant aller jusqu'à 15 ans d'emprisonnement si elles "ont des conséquences graves".

Cette formulation très vague va donner aux autorités russes le pouvoir de réprimer sévèrement toute critique envers leurs forces armées, alors que le conflit en Ukraine pourrait entrer dans les prochains jours dans une phase encore plus sanglante.

Un texte voté vendredi prévoit par ailleurs des amendes contre quiconque appelant à l'imposition de sanctions contre la Russie pour son offensive.

Aucun commentaire n'a été obtenu dans l'immédiat auprès du Kremlin sur la décision de médias internationaux de suspendre leurs opérations en Russie.

Des dirigeants de groupes de presse ont dénoncé une loi nuisant au journalisme indépendant et mettant en péril la sécurité des journalistes. Ils ont souligné la nécessité de trouver un équilibre entre leurs obligations à l'égard du public et la protection de leurs équipes contre d'éventuelles représailles.

"La modification du code pénal, qui semble destinée à transformer tout journaliste indépendant en criminel purement par association, rend impossible de poursuivre tout semblant de journalisme normal dans le pays", a écrit le rédacteur en chef de Bloomberg, John Micklethwait, dans une note aux salariés du groupe. "Nous n'allons pas faire ça à nos journalistes".

Tim Davie, le directeur général de la BBC, a déclaré que la nouvelle loi semblait criminaliser le journalisme indépendant.

"Cela ne nous laisse pas d'autre option que de suspendre temporairement le travail de tous les journalistes de BBC News et leurs aides en Russie, le temps d'évaluer toutes les incidences de ce développement malvenu", a-t-il dit dans un communiqué.

Il a ajouté que BBC News en langue russe continuerait de fonctionner hors de Russie.

Le Washington Post ou encore l'agence Reuters ont dit évaluer la situation.

Des gouvernements occidentaux et les géants du numérique ont pour leur part banni la chaîne russe RT, accusée par l'Union européenne d'une désinformation systémique à propos de l'invasion de l'Ukraine.

(Rédigé par Kate Holton et Guy Faulconbridge, avec Joseph Nasr, Dawn Chmielewski et David Ljunggren; version française Tangi Salaün, Jean-Stéphane Brosse et Jean Terzian)