par David Lewis

TOMBOUCTOU, Mali, 3 février (Reuters) - Pendant 10 mois, Salaha Najim a fermé les volets de sa maison, installé discrètement une antenne et éteint le son de sa télévision chaque fois qu'il a voulu regarder un match de football à l'abri des regards inquisiteurs des islamistes armés s'étant rendus maîtres de Tombouctou.

Samedi, les fenêtres de sa maison étaient grand ouvertes et le volume de sa télévision poussé à un niveau assourdissant lorsque l'équipe nationale du Mali, les Aigles, a éliminé l'Afrique du Sud en quart de finale de la Coupe d'Afrique des nations.

Les habitants de Tombouctou sont sortis en masse dans les rues de la ville pour célébrer dans les chants et les concerts de klaxons la fin d'une semaine extraordinaire, débutée par la fuite des islamistes face à l'arrivée des soldats français et conclue par une visite du président français François Hollande et la victoire en football.

"Les islamistes interdisaient tout", se souvient Salaha Najim, le visage illuminé d'un grand sourire en regardant le match de football avec deux amis venus dans sa maison nichée dans le dédale de ruelles de Tombouctou. "Mais maintenant, je peux regarder les matches aussi fort que je veux."

Tombouctou est désormais ornée de drapeaux français et maliens accrochés côte à côte pour célébrer le départ des islamistes. Les habitants saluent les convois de l'armée française qui passent régulièrement.

L'agitation règne devant les étals de rue, pris d'assaut par des habitants désireux de reconstituer des réserves après des mois d'isolement dus à la domination des islamistes sur la ville.

Le soulagement n'est toutefois pas total et certains se demandent si le gouvernement, affaibli par le chaos politique à Bamako, et l'armée seront capables d'empêcher les islamistes de revenir une fois les militaires français partis.

"Je dirai qu'ils sont partis pour toujours uniquement lorsqu'on m'aura dit qu'ils ont été débusqués", dit Moussa Djikke, vieil homme assis à l'ombre d'un arbre entre la mosquée Sankoré et l'institut Ahmed Baba, deux piliers du patrimoine de la ville.

BAFOUER LES PRINCIPES DE LA CHARIA

Pendant des siècles, Tombouctou a été un carrefour majeur du commerce transsaharien et un centre influent d'enseignement de l'islam avant de se transformer en destination touristique prisée par les Occidentaux.

Avant de fuir, les islamistes ont brûlé environ 2.000 manuscrits centenaires conservés à l'institut Ahmed Baba. Durant leurs 10 mois de présence, ils avaient aussi détruit des mausolées soufis relevant selon eux d'une idôlatrie non conforme aux préceptes de leur religion.

La plupart des 300.000 textes anciens de la ville sont toutefois restés intacts.

"Notre culture a été attaquée. Nous avons été emprisonnés. Mais maintenant nous sommes libres", se réjouit Moussa Djikke en égrenant les perles de son chapelet du bout des doigts.

Les habitants de Tombouctou se délectent désormais à bafouer ouvertement les principes stricts de la charia, la loi islamique, qui leur a été imposée de force pendant des mois.

Les hommes ne portent plus de pantalons retroussés au-dessus des mollets, comme à l'époque du prophète Mahomet au VIIe siècle. Les femmes sont libres de ne plus porter le voile et de se vêtir des tenues africaines traditionnelles. Les deux sexes peuvent à nouveau se mélanger sans contrainte dans la rue.

A l'extérieur d'un stand posé dans la rue, des habitants se rassemblent pour écouter les chansons de Haire Arbi, un artiste local populaire qui s'était enfui en 2012 lorsque les islamistes ont interdit la musique. Non loin de là, les vendeurs de cigarettes font des affaires florissantes.

Ornés de photos représentant les trésors touristiques du Mali, les couloirs de l'hôtel La Colombe, fermé pendant des mois, ont retrouvé vie.

"Le jour où (les islamistes) sont arrivés dans la ville, ils nous ont forcés à fermer et ils ont détruit tout notre alcool", raconte un employé, Mahamane Touré, installé à la réception.

Du temps de la domination islamiste, Mahamane Touré a passé ses journées à boire du thé, à lire des romans et à se rendre à la mosquée. Il partageait le peu de nourriture qu'il trouvait avec ses voisins. Sa barbe a tellement poussé qu'elle atteint presque son nombril.

TENSIONS ETHNIQUES

Puis les blindés de l'armée française ont pénétré dans Tombouctou le 28 janvier, suivis rapidement par un déferlement de journalistes auxquels il a ouvert les 50 chambres de l'établissement.

"Quand je me suis réveillé ce jour-là, je n'imaginais pas que tout changerait aussi vite", dit-il, entre deux coups de téléphone. L'un de ces appels est une urgence: il s'agit de demander à un proche à Bamako d'expédier rapidement de la bière car les caisses cachées dans le désert, où elles sont restées enterrées pendant des mois, commencent à s'assécher.

Des traces de la présence islamiste demeurent cependant à Tombouctou. Des panneaux noirs et blancs ornés de messages religieux bordent encore les chaussées. L'un d'eux, situé à une entrée de la ville, souhaite la bienvenue aux arrivants en présentant Tombouctou comme le siège de l'application de la charia.

Les murs beiges de la Banque malienne de solidarité portent encore l'inscription "police". Elle a servi de quartier général à la police islamique chargée de l'application de la charia, à coups de fouet et d'amputations.

D'après les habitants, la pièce du distributeur de billets servait à enfermer les femmes, parfois plusieurs dizaines en même temps.

La présence islamiste a aussi laissé des marques plus profondes en exacerbant les tensions ethniques. La plupart des arabes à la peau claire et des touaregs ont fui la ville après des représailles contre les personnes soupçonnées de collaboration avec les anciens maîtres de Tombouctou.

A un carrefour poussiéreux surnommé "Afghanistan", car il servait de point de ralliement aux islamistes armés, les portes des boutiques de commerçants arabes ont été défoncées et l'intérieur pillé.

"Avant, on aimait les arabes. Nous pensions qu'ils étaient bons. Mais nous ne leur faisons plus confiance", dit Albert Touré, cordonnier de 28 ans. "Nous sommes épuisés. Ce dont nous avons besoin maintenant, c'est de sécurité." (Bertrand Boucey pour le service français)