par Elizabeth Piper

MOSCOU, 21 mars (Reuters) - Loin de diviser le "premier cercle" autour de Vladimir Poutine, les sanctions américaines ont resserré les rangs derrière le maître du Kremlin.

Fiers d'avoir su "défendre les droits" de la population russophone de Crimée, l'élite politique et financière de la Russie semble aujourd'hui prête à supporter des sacrifices.

Mais avec le temps et face aux difficultés économiques, l'équipe dirigeante au Kremlin aura peut-être du mal à maintenir cette "union sacrée".

Lors d'une réunion de son Conseil de sécurité vendredi, le président russe, pince-sans-rire, a déclaré qu'il allait devoir dorénavant éviter les personnalités de son entourage visées par les sanctions américaines - et les intéressés, tout aussi sarcastiques, ont répondu qu'ils considéraient ce "châtiment" comme un honneur.

"Il est clair qu'ils frappent ceux qui possèdent", a dit Vladimir Iakounine, le patron des chemins de fer russes, l'un des vingt responsables politiques et économiques visés par les sanctions annoncées jeudi par Barack Obama.

Ces sanctions consistent en un gel des avoirs détenus aux Etats-Unis et en une interdiction d'entrée sur le territoire américain.

"Je suis en bonne compagnie", écrit Iakounine sur son blog. "Je ne peux pas cacher que je me sens vraiment flatté. Tous les gens sur la liste sont des personnalités qui ont fait beaucoup pour la Russie", ajoute-t-il, jugeant les Occidentaux "irrationnels".

SACRIFICES

Même ton de moquerie et de dérision de la part des autres "fustigés", visés par les sanctions américaines et européennes pour avoir contribué à l'annexion de la Crimée par la Russie.

Pour Olga Krichtanovskaïa, spécialiste de la vie politique russe, les Etats-Unis ont du mal à comprendre les motivations de l'élite russe - rendre au pays sa fierté et sa puissance après les humiliations qui ont suivi l'effondrement de l'URSS.

"Pour cela, nos hommes politiques sont prêts à sacrifier beaucoup de choses, ils se sentent investis d'une mission", dit-elle.

Les prises de position conservatrices de Poutine, sa défense des valeurs religieuses, ses critiques de la licence morale, ses actes de foi nationalistes sont des choses que la plupart des Occidentaux ne peuvent comprendre, ajoute Olga Krichtanovskaïa.

"Les gens sont unis. L'homme de la rue, qui n'avait pas grand chose à faire de la Crimée il y a encore un mois, est derrière Poutine, pour une Russie qui retrouve sa puissance, qui se fait respecter, qui peut changer le cours des choses."

Les hommes d'affaires et l'élite financière du pays prennent pourtant des risques dans ce bras de fer avec l'Occident.

ARBITRE SUPRÊME

Guennadi Timtchenko, un proche de longue date de Poutine, était jusqu'à cette semaine le copropriétaire de Gunvor, une société de courtage basée à Genève qui traite près de 3% du pétrole mondial. Il a vendu ses parts mercredi, un jour avant que son nom soit couché sur la "liste noire" américaine.

Pour les propriétaires de sociétés basées à l'étranger, la situation n'est pas confortable. Vladimir Poutine leur a demandé de rapatrier leurs actifs afin d'aider la Russie à résister aux sanctions et au ralentissement de l'économie.

Selon certains observateurs étrangers, les dirigeants économiques russes ont été mis devant le fait accompli lorsqu'il s'est agi de prendre le contrôle de la Crimée après la chute du président ukrainien Viktor Ianoukovitch.

"Poutine décide avec très peu de gens, tous des anciens du KGB", dit un membre des services de sécurité allemands. "Au sein de ce groupe, il est sous pression parce qu'il n'a pas pu empêcher le rapprochement de l'Ukraine avec l'Ouest, parce qu'il a joué la carte Ianoukovitch qui aurait dû, selon certains, écraser tout de suite les manifestants de Maïdan."

Mais personne ne doute que le président russe est l'arbitre suprême, comme l'a montré son aplomb lors de la réunion du Conseil de sécurité.

Evoquant les sanctions américaines contre la banque Rossiya, il a annoncé, dans un de ces gestes de défi qui ont fait beaucoup pour sa popularité, que son salaire serait dorénavant versé sur un compte dans cette banque... (Avec Maria Tsvetkova et Alexei Anishchuk à Moscou, Noah Barkin à Berlin; Guy Kerivel pour le service français)