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(Easybourse.com) Quelle est la responsabilité du Parlement européen dans l'organisation de la réforme sur la régulation financière en Europe ?
Le traité de Lisbonne est entré en vigueur et a étendu le processus de codécision. Les gouvernements nationaux doivent ainsi comprendre que, dorénavant, les décisions ne se prendront pas uniquement dans le cénacle clos de l'Ecofin, appelé à juste titre par l'ancien ministre italien de l'économie, Tommaso Paddoa-Schiopa, le cartel des nationalismes.

Au Parlement, nous nous efforcerons d'adopter des textes conformes à l'intérêt général européen et non seulement au plus petit dénominateur commun entre les Etats. Notre démarche consiste à prendre appui sur les avis des praticiens, des épargnants, des financiers pour trouver un bon point d'équilibre.

Quel est votre point de vue sur la réforme en cours ?
La réforme envisagé va dans le bon sens. Nous avons véritablement besoin de règles de contrôle plus uniformes, plus rigoureuses et d'une supervision accrue des institutions bancaires et des marchés via lesquels se financent nos entreprises. Le but de la réforme est de permettre à l'économie européenne d'aller de l'avant sans risque financier excessif : n'oublions pas que pour lutter contre le changement climatique, nous devons modifier nos modes de transport et notre consommation d'énergie, rénover nos habitats, reconvertir nos économies. Cela exigera une levée de fonds considérable. Nous ne pouvons pas rester dans le «business as usual» : pour éviter la croissance molle qui nous guette, nous devons financer massivement l'innovation tout en garantissant que les financiers offrent des produits sains.

Nous avons conscience de l'ampleur de la tâche : l'histoire de la régulation est déjà longue. Par le passé, de nombreuses tentatives n'ont pas abouti. Nous nous inscrivons dans une certaine continuité tout en ambitionnant d'aller plus loin. Le rapport de Monsieur de Larosière marque un pas très significatif. Et les quatre principaux groupes du Parlement européen ont exprimé, le jour de la dernière réunion de l'Ecofin (le 2 déc) leur déception devant la dilution du projet de Mr de Larosière.

Vous êtes très inquiète de ce qui est sorti de la dernière réunion de l'Ecofin. Pourquoi ?
Les ministres des finances ont supprimé les compétences européennes pour les règles s'appliquant aux entités d'envergure européenne ; ils sont allés en arrière s'agissant des mesures de médiation, lorsqu'il y a divergence entre plusieurs autorités nationales et, d'une manière générale, ont réduit l'efficacité du dispositif en cas d'urgence. Or, si une nouvelle crise grave se produisait, l'économie européenne serait en danger d'être à genoux. Les contribuables ont déjà été sollicités au-delà du raisonnable, les déficits sont énormes, la dette vertigineuse. Nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d'une nouvelle crise avec des mesures de sauvetage publiques. D'où l'impératif d'etre efficaces dans la prévention. Il ne suffit pas de créer des autorités de dimension européenne, il faut qu'elles aient les pouvoirs qui correspondent. Je souhaite que les professionnels de la finance aident le Parlement européen à faire pression sur les gouvernements nationaux pour que le système mis en place soit crédible.

Vos préoccupations sont de trois ordres…
Il ne peut pas y avoir de marché unique sans règles uniques et sans supervision unique. Il faut arrêter d'avoir des discours européens et des actes nationalistes. Cette crise a été marquée par un certain retour au nationalisme. Dans tous les Etats membres, on observe un repli, certains croyant qu'il sera possible de contrôler les acteurs au niveau national tout en continuer à tirer les avantages du marché unique. Cela n'est pas possible. Le danger de fragmenter le marché est réel. Or si cette fragmentation s'opère, la liquidité se raréfiera, avec des conséquences négatives pour le financement des économies. La création de l'euro a contribué à créer des groupes bancaires ou d'assurance et des marchés transfrontaliers. C'est pourquoi la supervision doit se faire au niveau européen.
Par ailleurs, il faut veiller à la cohérence des décisions de supervision entre le niveau macro économique et le niveau micro économique. La banque centrale européenne est très décidée à prendre ses responsabilités au niveau macro, notamment en matière de risques systémiques. Nous devrions arriver à une bonne solution, sous l'égide de la BCE. En revanche, les choix opérés en matière de supervision micro sont plus préoccupants notamment le maintien de trois autorités dispersées.

La dernière cohérence doit être instaurée entre les secteurs...
Naturellement, j'ai conscience que les préoccupations sont différentes, les structures de bilans sont différents. Les difficultés auxquelles sont confrontées les banques ne sont pas identiques à celles auxquelles doivent faire face des compagnies d'assurance. Mais il faut établir un dialogue entre les autorités de supervision en charge de chaque secteur, ne serait-ce que pour mieux évaluer le risque systémique. Un regroupement des différents superviseurs au sein d'un même lieu me semble pertinent.

Le meilleur système à instaurer est celui qui confortera la zone euro… 
L'argument selon lequel, il y aurait une discrimination par rapport aux pays qui n'ont pas l'euro comme monnaie, n'est pas pertinent. Ces derniers ont fait le choix souverain de ne pas être membres de cette zone ou ne remplissent pas, à ce jour, les critères objectifs d'adhésion mais le seront un jour. Pour l'UE, l'euro est le joyau de la couronne. Au reste du monde - à Pékin, à Washington - nous Européens, devons donner le signal qu'il y a un pilote dans l'avion européen, un gardien de la stabilité, monétaire et financière, qui est la Banque centrale européenne. Nous travaillerons dans ce sens.

Sur la compétition entre places européennes : il existe différentes places européennes, peut être différentes mœurs des épargnants. Comment préserver l'émulation tout en obtenant un peu plus d'harmonisation?
Cette question est le serpent de mer du marché intérieur, dans tous les domaines. La véritable difficulté est que nous pensons que nous avons des règles harmonisées, mais, dans la réalité, ces règles ne s'appliquent pas de manière uniforme.
Il ne s'agit pas forcément de multiplier les règles ou de tout ramener au niveau européen mais que les décisions prises ensemble donnent lieu à des interprétations convergentes pour éviter les arbitrages fondés sur des considérations non économiques. soyons lucides : nous sortons d'une situation. où nous avons laissé un certain nombre de dérives se développer. Le marché unique est loin d'être achevé.

Et le monde est ouvert. Gardons nous des idéologies. Au mieux pouvons-nous procéder par approximations successives pour aboutir aux bonnes règles. Sur la question des hedge funds par exemple, il est très difficile de trouver la bonne solution. Nous sommes dans un monde où un certain nombre d'acteurs ne connaissent plus de frontières tandis que la démocratie reste largement organisée au niveau national.

Le seul endroit au monde où l'on a commencé à surmonter cette contradiction, même si de manière imparfaite, c'est l'Union européenne. C'est le seul endroit où nous observons une tentative sérieuse, durable de créer de la régulation adoptée selon un processus démocratique pour son adoption et appliqué sous un contrôle supranational assuré par la Commission, la Cour de justice, la Banque centrale européenne.

La question à présent est de se demander comment il est possible de se doter de règles mondiales avec des acteurs économiques qui sont prompts à revendiquer leur liberté lorsqu'il s'agit de faire du profit mais sont tout aussi prompts à venir se cacher dans le giron national lorsqu'il y a des problèmes. Ces acteurs n'hésitent pas à appeler à l'aide puis peu après, à lancer des menaces aux décideurs publics s'il y a taxation de leurs bonus et privilèges. Ils nous disent que, dans ce cas, ils partiront. Naturellement, les pouvoirs publics doivent assurer la compétitivité de la place, voire des places européennes, et agir avec discernement mais il n'est pas pensable que les autorités publiques soient menacées de la sorte. Il y a une responsabilité collective des acteurs, des marchés, des entreprises à la prospérité générale.

Propos retranscrits par Imen Hazgui

Ce texte constitue le verbatim de l'intervention de Sylvie Goulard à l'occasion de la sixième édition des entretiens de l'Autorité des marchés qui s'est tenue le 16 décembre dernier.
Il a été validé par l'interlocuteur

- 07 Janvier 2010 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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