Pendant six semaines à compter du 3 octobre, un jury fédéral de Manhattan devra évaluer ces deux récits au cours du procès pénal de Bankman-Fried pour fraude, avant de déterminer si l'ancien milliardaire, âgé de 31 ans, est coupable de sept chefs d'accusation de fraude et d'association de malfaiteurs. Bankman-Fried, qui a quitté son emploi de trader quantitatif au sein de la société Jane Street à Wall Street pour fonder le hedge fund crypto Alameda Research en 2017, a plaidé non coupable.
Une condamnation scellerait sa spectaculaire déchéance. Au cours de son ascension fulgurante, alors que la valeur du bitcoin et d'autres actifs numériques grimpait en flèche en 2020 et 2021, il est devenu une sorte d'exemple de responsabilité dans le secteur des crypto-monnaies, souvent agité et instable.
Il a apposé le logo de FTX sur une salle de basket-ball à Miami et sur les uniformes des arbitres de baseball de la MLB. Il a engagé des athlètes et des acteurs de renom pour cautionner la sécurité de la plateforme. Et alors que sa valeur nette atteignait 26 milliards de dollars, il s'est engagé à donner la majeure partie de sa fortune à des causes philanthropiques telles que la préparation aux pandémies.
FTX a survécu à la chute des prix des cryptomonnaies qui a entraîné la faillite d'autres grandes plateformes de monnaies numériques au début de l'année 2022, Bankman-Fried ayant même renfloué certaines d'entre elles.
Mais en novembre, CoinDesk a publié un bilan d'Alameda montrant que le fonds était fortement exposé au FTT, un jeton émis par FTX elle-même. Cela a déclenché une vague de retraits de la part des clients, dont la bourse n'a pas pu se remettre. Les procureurs affirment qu'il s'agissait d'une façade depuis le début. Bankman-Fried est accusé d'avoir volé des milliards de dollars de dépôts de FTX pour combler les pertes d'Alameda, acheter des biens immobiliers de luxe et faire des dons à des campagnes politiques américaines pour promouvoir une législation favorable aux crypto-monnaies. "Il s'agit de l'une des plus grandes fraudes financières de l'histoire des États-Unis", a déclaré Damian Williams, procureur général de Manhattan, en décembre 2022, lors de l'annonce de l'arrestation de Bankman-Fried aux Bahamas, où FTX était basée.
M. Bankman-Fried a reconnu que la gestion des risques était inadéquate, mais il a nié avoir volé des fonds. Il avait l'intention de dire au Congrès, lors d'une audition en décembre sur l'effondrement de FTX, qu'il avait commis une erreur et ne savait pas combien FTX avait prêté à Alameda en raison d'une "bizarrerie" dans les contrôles internes de la société, selon une ébauche écrite de son témoignage prévu publiée par Forbes et confirmée par Bankman-Fried comme authentique. Bankman-Fried a été arrêté avant de pouvoir témoigner.
Ses avocats ont déclaré que M. Bankman-Fried devrait être autorisé à présenter des preuves montrant qu'il croyait "de bonne foi" que son traitement des fonds des clients était conforme aux conditions de service de FTX et à la loi. Pour condamner Bankman-Fried, les procureurs doivent prouver qu'il avait l'intention de commettre un délit.
"La meilleure stratégie de Bankman-Fried a toujours été de montrer qu'il n'était pas un cerveau criminel, mais qu'il était simplement dépassé par les événements", a déclaré Mark Kasten, avocat de la défense chez Buchanan Ingersoll & Rooney, qui n'est pas impliqué dans l'affaire.
D'ANCIENS COLLÈGUES VONT TÉMOIGNER
Pour prouver leurs arguments, les procureurs ont déclaré qu'ils prévoyaient d'appeler à la barre trois anciens membres du cercle rapproché de Bankman-Fried : l'ancienne directrice générale d'Alameda, Caroline Ellison, l'ancien chef de la technologie de FTX, Gary Wang, et l'ancien chef de l'ingénierie, Nishad Singh, qui partageaient autrefois avec leur ancien patron un appartement de 30 millions de dollars dans les Bahamas. Tous trois ont plaidé coupable et accepté de coopérer avec le gouvernement.
Les procureurs affirment que Bankman-Fried a demandé à Wang de modifier le code informatique de FTX afin de permettre à Alameda d'emprunter des sommes d'argent illimitées, un privilège que n'avaient pas les autres utilisateurs de la bourse. En plaidant coupable, M. Singh a déclaré qu'il savait depuis juin 2022 qu'Alameda avait emprunté des milliards à FTX sans le consentement de ses clients.
Ellison, l'ancienne partenaire romantique de Bankman-Fried, a déclaré lors de son plaidoyer qu'elle et Bankman-Fried s'étaient mises d'accord pour cacher aux prêteurs du fonds le fait qu'Alameda avait prêté des milliards de dollars aux dirigeants de FTX pour leur usage personnel.
Bankman-Fried se prépare au procès derrière les barreaux depuis la mi-août, lorsque le juge du district américain Lewis Kaplan a révoqué sa caution de 250 millions de dollars après avoir constaté qu'il avait probablement tenté d'intimider Ellison en communiquant à un journaliste du New York Times ses écrits personnels, dans lesquels elle décrivait les difficultés qu'elle rencontrait dans son travail chez Alameda.
Dans des écrits personnels de Bankman-Fried, également publiés par le New York Times le 14 septembre, il a cherché à faire porter à Mme Ellison la responsabilité de l'échec d'Alameda.
"Elle a continuellement évité de parler de gestion des risques - esquivant mes suggestions - jusqu'à ce qu'il soit trop tard", écrit-il.
Les avocats de la défense de Bankman-Fried ont indiqué dans des documents judiciaires qu'ils avaient l'intention de contester la crédibilité des trois témoins.
Étant donné que leur plaidoyer repose sur la démonstration que l'incapacité des clients de FTX à retirer des fonds en novembre dernier était le résultat des erreurs commises par M. Bankman-Fried dans la gestion de son entreprise, et non d'un plan de fraude délibéré, il est probable qu'ils s'opposeront fermement à tout témoignage selon lequel leur client était au courant, bien avant l'effondrement, de la situation financière désastreuse de ses entreprises, ont déclaré les experts.
"La question est de savoir quand Bankman-Fried a su qu'il n'y aurait pas assez d'argent", a déclaré Paul Tuchmann, ancien procureur fédéral et actuel associé du cabinet Wiggin and Dana. "Il est évident qu'il n'y avait pas assez d'argent pour couvrir tous les dépôts. Mais quand l'a-t-il su ? Quand avait-il des raisons de le croire ?". (Reportage de Luc Cohen à New York ; Rédaction de Amy Stevens et Daniel Wallis)
