RENNES, 11 janvier (Reuters) - Placé sous le feu des projecteurs dans l'affaire des lots de poudre de lait pour bébé contaminés, le groupe Lactalis, premier groupe laitier mondial, et son PDG Emmanuel Besnier, développent depuis des décennies une culture du secret et de l'opacité.

Le gouvernement a demandé jeudi des sanctions dans cette affaire de contamination à la salmonelle qui vire à la catastrophe industrielle pour le groupe et jette une ombre sur toute une filière.

Créée à Laval en 1933 par André Besnier, l’entreprise Besnier, future Lactalis, qui se limitait à l’origine à une petite fabrication de camemberts installée en Mayenne, a connu une croissance rapide en diversifiant ses productions puis en s'engageant dans une politique de rachats de concurrents.

Depuis les années 1980, sous la houlette de Michel Besnier, fils d'André, puis de son petit-fils Emmanuel, la croissance externe du groupe Lactalis lui a permis de s'implanter en Europe de l'Est, aux Etats-Unis, en Afrique, en Asie.

En 2011, il rachète la firme italienne Parmalat, devenant leader mondial du secteur laitier. A l'occasion de cette acquisition, le groupe familial publie pour la première fois ses comptes, jusqu'alors jamais dévoilés, mais une obligation légale dans le cadre d'une OPA (Opération publique d'achat).

Aujourd'hui, ce géant du lait, qui collecte environ quinze milliards de litres de lait par an et affiche un chiffre d'affaires de 17,3 milliards d'euros, compte 246 sites de productions répartis dans 47 pays dans le monde, pour un effectif global de 18.900 employés.

Avec plus de 60 sites industriels et 15.000 "collaborateurs" en France, le groupe, dont le siège est basé à Laval en Mayenne, demeure très implanté dans l'Hexagone, où il fabrique et commercialise, parmi beaucoup d'autres, les produits sous marque Président, Lactel ou encore Bridel.

Lors de conflits sur le prix du lait payé aux éleveurs, ces derniers ont mis en cause l'absence dans les négociations de son actuel PDG, Emmanuel Besnier, 47 ans, également surnommé "l'homme invisible" par certains de ses employés.

UNE ENTREPRISE "DÉFAILLANTE", SELON LE MAIRE

Fuyant systématiquement les journalistes et les mondanités, Emmanuel Besnier, classé avec sa famille 11e fortune de France en 2017 par le magazine Challenges, est seul propriétaire, avec son frère Jean-Michel et sa sœur Marie, d'une entreprise tentaculaire, où la représentation syndicale est réduite au minimum, selon les principales confédérations de la Mayenne.

Depuis le début de la crise des lots contaminées, ni la direction ni aucun des quelques 327 salariés de l'usine de Craon, en Mayenne, où ont été fabriqués ces produits et actuellement à l'arrêt, ne se sont exprimés publiquement.

"C'est la discrétion la plus totale", a confié à Reuters, sous couvert d'anonymat, un ancien fournisseur de lait de l'usine qui estime que "le personnel a probablement reçu des consignes".

Avant la conférence de presse donnée jeudi par Lactalis dans ses locaux parisiens, la directrice de l'information de l'association Foodwatch, Ingrid Kragl, a mis en cause jeudi sur France Inter une entreprise qu'elle juge principalement responsable de la crise actuelle, qui "s'est murée dans le silence" et qui représente selon elle le "summum" de l'opacité dans ce type de crise sanitaire.

Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a déclaré jeudi que l'Etat avait dû se substituer à une entreprise "défaillante".

Allergique à l'exposition médiatique, Lactalis avait également rompu le contrat d'éleveurs qui s'étaient exprimés sur le groupe dans un reportage diffusé en 2017 par l'émission "Envoyé Spécial" de France 2, qui avait aussi été attaquée en justice pour "atteinte à la vie privée" d'Emmanuel Besnier.

Début janvier, Lactalis a par ailleurs annoncé le rachat aux Etats-Unis de Siggi's, le "roi du yaourt islandais", devenant, après déjà deux acquisitions dans ce secteur en 2017, un des plus importants fabricants de yaourts nord-américains. (Pierre-Henri Allain, édité par Yves Clarisse)