Mardi, plus d'un demi-siècle après être entré chez Dassault, Charles Edelstenne quittera la tête de l'avionneur, à la veille de ses 75 ans, la limite d'âge selon les statuts du groupe. Son successeur, Eric Trappier, l'actuel directeur général international du groupe, prendra ses fonctions mercredi.

Charles Edelstenne laisse Dassault Aviation à la croisée des chemins, la reprise du marché de l'aviation d'affaires, qui représente les deux tiers des ventes du groupe, peinant à se concrétiser, tandis que le Rafale ne s'est pas encore vendu à l'étranger.

PDG du constructeur du Rafale et des jets Falcon depuis 2000, le flamboyant septuagénaire ne s'éloignera cependant pas de la galaxie Dassault puisqu'il devient directeur général du Groupe industriel Marcel Dassault (GIMD), l'actionnaire majoritaire de Dassault Aviation.

Cette nomination intervient au moment où se pose la question de la succession de Serge Dassault, le patron de GIMD, âgé de 87 ans. Le fils du fondateur de l'empire, Marcel Dassault, n'a pas officiellement de dauphin désigné, même parmi ses quatre enfants.

"C'est une vraie-fausse retraite : Charles Edelstenne continuera à être très actif au sein du groupe Dassault", dit un bon connaisseur du groupe.

Charles Edelstenne restera également administrateur de Dassault Aviation dont il rejoindra le comité d'audit et dont il représentera GIMD, actionnaire à 50,55% de l'avionneur.

Interrogé sur le rôle qu'il sera désormais amené à jouer au sein de Dassault Aviation, il a répondu en souriant : "Mon rôle est celui d'un actionnaire. Je continuerai à participer aux conseils et à toucher les jetons de présence de Dassault Aviation."

Grand amateur de golf et de chocolat, Charles Edelstenne, qui avait également cofondé l'éditeur de progiciels Dassault Systèmes en 1981, dégage une certaine sérénité qui masque mal la main de fer avec laquelle il a mené Dassault Aviation.

"Il a une capacité à aller à l'essentiel sans s'embarrasser de fioritures", résumé ce même proche du groupe.

Connu pour ses déclarations à l'emporte-pièces, Charles Edelstenne n'est en effet pas homme à s'embarrasser de nuances.

En décembre, interrogé par un journaliste sur l'idée de Laurent Dassault - fils de Serge Dassault - d'un grand ensemble regroupant les champions français de l'aéronautique et de la défense autour de Dassault Aviation, Charles Edelstenne avait simplement lâché :

"Je sais que cette idée a fleuri quelque part. J'ai un conseil à vous donner : oubliez-la."

CROISÉE DES CHEMINS

Au printemps 2011, il dénonçait des comportements "dignes des années les plus noires du pays dans les années 1940", faisant allusion aux attaques ayant visé Luc Vigneron, le PDG de Thales, dont Dassault Aviation est le premier actionnaire industriel.

Le 20 décembre, le conseil d'administration de Thales a annoncé la nomination de l'ex-patron de Vivendi Jean-Bernard Lévy pour remplacer Luc Vigneron, de plus en plus contesté en interne et lâché par ses deux principaux actionnaires, dont Dassault Aviation.

Charles Edelstenne n'avait pas pu résister à la tentation de confirmer cette annonce la veille à des journalistes.

A l'été 2011, alors que les négociations entre Safran et Thales en vue d'un échange d'actifs pataugent, Charles Edelstenne accuse Safran d'intransigeance.

"A chaque fois que Thales propose une solution, tout est refusé par Safran. Thales fait un effort, et c'est toujours non", avait déclaré le PDG de Dassault Aviation, qui avait coutume de s'exprimer comme le véritable patron de Thales.

Le bras de fer s'était conclu fin 2011 par une coentreprise a minima, à but purement commercial dans l'optronique, sans remettre en cause l'équilibre des activités des deux groupes que l'Etat, leur actionnaire commun, espérait rationaliser.

Dans la défense, Dassault Aviation va se retrouver au coeur d'une consolidation du secteur français encore à dessiner, peut-être dès cette année, une fois votée la loi de programmation militaire pour 2014-2019, ce qui devrait intervenir avant l'été.

Le prototype du drone de combat Neuron, qui a effectué son tout premier vol le 1er décembre dernier, est un peu le bébé de Charles Edelstenne.

Trois ans après son arrivée à la tête de Dassault, il a présidé, avec le gouvernement français, à l'élaboration de ce prototype réunissant six pays européens et qui pourrait servir de base à l'avion de combat du futur, piloté à distance.

Mais il reste à savoir si Dassault Aviation fera partie des constructeurs choisis par les armées européennes lorsqu'elle décideront de cette génération d'avions de combat attendue pour la décennie 2030.

PAS (ENCORE) DE RAFALE A L'EXPORT

Plus important, Charles Edelstenne quitte la tête de Dassault Aviation sans avoir accroché à son palmarès une vente à l'étranger du Rafale, symbole de l'excellence technique française non exportable et qu'il a toujours défendu becs et ongles.

Il a dû notamment faire face aux atermoiements du Brésil, qui repousse sans cesse son appel d'offres pour au moins 36 avions de combat, malgré la promesse de transferts de technologies massifs de la France.

"Le jour où il y aura des nouvelles on le fera savoir, pour le moment on est dans la soute et on rame", avait confié Charles Edelstenne à Reuters à l'été 2011.

Pire, la piste d'un contrat avec les Emirats arabes unis semble s'être refroidie depuis que ces derniers ont jugé "non compétitive et irréalisable" l'offre de Dassault Aviation pour ce contrat de 60 avions de combat.

Une source émiratie proche des négociations avait mis l'impasse sur le compte de "l'arrogance" de Dassault Aviation.

François Hollande se rend aux Emirats arabes unis les 14 et 15 janvier prochains - peut-être une occasion de faire avancer ce dossier pour l'instant en stand-by.

Une source proche de François Hollande a toutefois précisé que chaque visite du président n'était pas forcément l'occasion de signature de contrats.

"Le temps de la négociation commerciale n'est pas forcément celui des Etats et des relations diplomatiques", a précisé cette source.

Reste le plus gros contrat potentiel pour le Rafale : 126 avions pour 11 milliards d'euros en Inde. Les négociations exclusives, démarrées en janvier 2011, pourraient déboucher d'ici mars, avant la fin de l'exercice budgétaire indien.

Et si le contrat du siècle est effectivement signé c'est Eric Trappier, le successeur de Charles Edelstenne, qui en récoltera les lauriers.

Avec Loïk Segalen à ses côtés en tant que directeur général adjoint, Eric Trappier devra en outre préparer la sortie du nouvel avion d'affaires de Dassault Aviation, le SMS (Super Mid Size), attendu en septembre 2013.

Interrogé sur ses recommandations pour le nouveau tandem, Charles Edelstenne répond simplement : "Je n'ai pas de conseils à leur donner, ils sont programmés !"

Avec Elizabeth Pineau, édité par Jean-Michel Bélot

par Cyril Altmeyer