* Erdogan prévient les Néerlandais qu'ils devront "payer le prix" de leurs décisions

* En meeting en Moselle, son chef de la diplomatie affirme que les Pays-Bas sont la "capitale du fascisme"

* La controverse s'invite dans la campagne présidentielle en France

ISTANBUL/AMSTERDAM, 12 mars (Reuters) - La tension n'est pas retombée dimanche entre la Turquie et les Pays-Bas, Ankara ne décolérant après que deux de ses ministres ont été refoulés du territoire néerlandais où ils devaient mener campagne auprès de la diaspora turque en vue du référendum du 16 avril prochain.

En France, où le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu, a pris la parole ce dimanche lors d'un rassemblement organisé à Metz, l'affaire a pris une tournure politique, François Fillon dénonçant une "rupture de la solidarité européenne" tandis que le Front national jugeait "scandaleux" la tenue de "discours communautaristes".

Invoquant ces "attaques rhétoriques portées par la Turquie" contre son partenaire européen néerlandais, le Premier ministre danois, Lars Løkke Rasmussen, a proposé pour sa part que la visite prévue ce mois-ci de son homologue turc Binali Yildirim soit différée.

Les Pays-Bas ne sont pas le premier pays européen à avoir annulé des réunions politiques à laquelle devaient participer des ministres turcs en campagne pour le "oui" à la réforme de la constitution, qui vise à renforcer les pouvoirs présidentiels.

Mais à l'approche des élections législatives de mercredi prochain, où le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders, islamophobe et anti-immigration, devrait progresser au terme d'une campagne qui a surtout tourné autour de ces thèmes de prédilection, les autorités néerlandaises ont refoulé samedi deux ministres turcs.

En fin de matinée d'abord, l'avion qui transportait Mevlut Cavusoglu s'est vu interdit d'atterrissage à Rotterdam. Dans la soirée, la police néerlandaise a raccompagné la ministre de la Famille, Fatma Betul Sayan Kaya, à la frontière allemande après l'avoir empêchée d'entrer dans le bâtiment du consulat de Turquie à Rotterdam et l'avoir déclarée indésirable sur le territoire néerlandais.

"LE NAZISME EST ENCORE TRÈS RÉPANDU EN OCCIDENT"

Dans la nuit, la police néerlandaise a utilisé des chiens et des canons à eau pour disperser plusieurs centaines de manifestants qui s'étaient rassemblés devant le consulat de Rotterdam et plusieurs personnes ont été frappées à coups de matraque par les forces de l'ordre.

Dans le même temps, les autorités turques ont fait fermer l'ambassade des Pays-Bas à Ankara et le consulat à Istanbul devant lesquelles des centaines de manifestants s'étaient également réunis.

"Ils auront naturellement à en payer le prix et aussi à apprendre ce qu'est la diplomatie", a prévenu dimanche le président turc Recep Tayyip Erdogan à Istanbul. "Je pensais que le nazisme était mort, mais j'avais tort. Le nazisme est encore très répandu en Occident. L'Occident a montré son vrai visage", a-t-il poursuivi.

Dans l'après-midi, le président turc, qui mène campagne pour le "oui", a poursuivi ses attaques, réclamant que des organisations internationales imposent des sanctions aux Pays-Bas qui se comportent, a-t-il dit, en "république bananière" et déplorant le silence des pays européens face au traitement réservé à ses deux ministres.

A Metz, où il a réclamé des excuses de la part des autorités néerlandaises, son ministre des Affaires étrangères a accusé les Pays-Bas d'être "la capitale du fascisme".

Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, qui appelait dans la matinée à l'apaisement, a souligné après coup que les "propos incendiaires" d'Erdogan et ses comparaisons avec le nazisme ne contribueraient pas à une désescalade.

"Nous avons abouti à une situation absolument sans précédent dans laquelle un allié membre de l'Otan avec lequel nous entretenons des liens historiques et des relations commerciales fortes agit d'une manière totalement inacceptable et irresponsable", a-t-il dit à la presse.

LA FRANCE RATTRAPÉE PAR LA CONTROVERSE

Le week-end dernier avait vu une polémique similaire se développer entre la Turquie et l'Allemagne, où la communauté turque compte trois millions de personnes. Au président Erdogan déroulant déjà la comparaison avec la période nazie, la chancelière Angela Merkel avait vivement répliqué, fustigeant des analogies "indignes des relations étroites entre l'Allemagne et la Turquie et de nos peuples".

En France, Jean-Marc Ayrault a appelé à l'apaisement et invité la Turquie à éviter les "excès et les provocations".

Mais dans le climat tendu de la campagne présidentielle, le gouvernement français s'est retrouvé pris dans une polémique pour avoir autorisé le meeting de Metz.

François Fillon a ainsi accusé François Hollande d'avoir rompu "de manière flagrante" la solidarité européenne. Le Front national a estimé lui qu'il était "scandaleux" d'autoriser la tenue de "discours communautaristes" incompatibles avec les valeurs de la République tandis qu'Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) estimait que l'accueil de ce meeting rendait la France "témoin et caution" du "grave glissement autoritaire" que connaît la Turquie.

Les relations entre Ankara et ses partenaires européens se sont dégradées à la suite des purges mises en oeuvre depuis la tentative de putsch de l'été dernier.

La Turquie soupçonne les Européens de chercher à favoriser une victoire du "non" au référendum du 16 avril, une issue qui serait un revers cuisant pour le président turc. (Tuvan Gumrukcu et Yesim Dikmen à Istanbul et Toby Sterling et Anthony Deutsch à Amsterdam avec Noémie Olive à Metz et Marine Pennetier à Paris; Julie Carriat, Pierre Sérisier et Henri-Pierre André pour le service français)