Avec un recul de 38 % de ses encours en 2008, contre une progression de 9 % en 2007 et de 47 % en 2006, selon EuroPerformance, la multigestion en France a été lourdement pénalisée par la crise. Les encours des fonds de fonds français commercialisés en France et investis soit dans des fonds internes soit dans des fonds externes, totalisaient ainsi, au 31 décembre 2008, 80 milliards d'euros d'actifs, contre 126,29 milliards d'euros à fin décembre 2007. Ces rachats s'expliquent notamment par des performances qui se sont révélées décevantes pour les investisseurs par rapport à celles de la gestion traditionnelle. En effet, alors que la multigestion mise sur sa capacité à sélectionner les meilleurs gérants, les performances moyennes des fonds de fonds actions Europe et monde ont été comparables, sur neuf ans (à juin 2009), à celles de la gestion directe, selon une étude de l'Association française de la gestion financière (AFG), menée par le groupe de travail Multigestion. A titre d'exemple, en 2008, la moyenne des performances des fonds de fonds «actions Europe» était de - 41,05 % en 2008, contre - 42,71 % pour la gestion directe, soit un écart de seulement 1,66 %. Pour autant, «la multigestion n'a pas démérité, affirme Eric Tazé-Bernard, responsable de la multigestion traditionnelle d'Amundi qui a dirigé le groupe de travail de l'AFG. Elle a confirmé son rôle d'amortisseur en 2007 et 2008, avec une réduction de la volatilité de près de 10 % par rapport à celle des fonds de gestion traditionnelle». Si, en période de hausse, la multigestion ne performe en moyenne pas mieux que la gestion directe, en revanche «le couple rendement/risque en période de marchés baissiers lui est favorable», ajoute Stéphane Corsaletti, président du directoire d'Asset Allocation Advisors et membre de l'étude.

Comme la gestion classique, la mutligestion a néanmoins profité en 2009 du rebond des marchés actions. Le débat sur la performance des fonds de fonds versus celle des fonds en gestion directe s'est donc atténué. «Nous avons observé une accélération des encours très nette de la multigestion en 2009, plus particulièrement à la faveur de la reprise boursière», indique Stéphane Corsaletti. La multigestion rassemblait ainsi en France, au 30 novembre 2009 pour les fonds de fonds traditionnels et à fin octobre 2009 pour les fonds de fonds alternatifs, 86 milliards d'euros d'actifs, soit une hausse de 7,5 % par rapport à l'année précédente.

Pour garder la confiance des investisseurs en 2010, les gérants vont d'abord devoir être investis sur les thématiques actuellement porteuses chez les institutionnels : la microfinance, le développement durable, les infrastructures ou encore le changement climatique. Surtout, ils devront aussi prendre en compte les nouvelles exigences des investisseurs en matière de due diligence. Ce sujet a été au centre des préoccupations du groupe de travail Multigestion de l'AFG, ce qui l'a conduit à élaborer un questionnaire de due diligence sur les sociétés de gestion et les fonds analysés. Celui-ci «a vocation à s'inscrire comme document de référence pour la profession», indique l'association. Même préoccupations pour Charlotte Dennery, responsable de FundQuest, BNP Paribas Investment Partners : «A l'avenir, à côté de la sélection de fonds, la due diligence opérationnelle fera la différence entre les multigérants.» Ce besoin de transparence est encore plus fort dans le domaine de la multigestion alternative, une classe d'actifs qui a souffert de son manque de performance et souvent de liquidité dans la crise. «En 2009, nous avons été commercialement en retrait en ce qui concerne la multigestion alternative, car nous voulions nous assurer que ce marché s'était assaini, ce qui est notre conviction aujourd'hui, indique Jean-Marie Catala, directeur général de Groupama Fund Pickers. Les acteurs de la multigestion alternative qui ont le mieux résisté à la crise sont ceux qui ont fait preuve de transparence, qui ont adapté leur contrôle des risques et qui ont proposé dans leurs fonds de fonds une liquidité cohérente avec celle de leurs sous-jacents. 2009 a été pour nous une année de repositionnement de notre offre, ce qui nous a conduits notamment à adopter de nouveaux reportings plus détaillés.»

Une tendance qui favorise le développement des fonds de mandats, puisque qu'ils permettent aux multigérants d'avoir une vision intégrale de leur portefeuille et des transactions. En effet, à la différence des fonds de fonds dans lesquels le multigérant accède aux gérants en achetant des parts de fonds ouverts, le fonds de mandats accède aux gérants en leur donnant des mandats de gestion. «Les investisseurs apprécient la transparence de l'information dans les fonds de mandats, puisque, par construction, ils ont accès à l'ensemble des positions, indique Jean-Marie Catala. Cependant, il n'est pas certain que le fait d'avoir accès à la totalité des positions d'un fonds de mandats permette à l'investisseur de mieux comprendre le risque, car les reportings sont souvent alors trop précis et complexes.» Pour réaliser une due diligence de plus en plus approfondie sur les fonds externes, les gérants doivent réussir à obtenir des informations détaillées sur les gestions sélectionnées en termes, par exemple, d'organisation opérationnelle, de suivi de la gestion et d'accès au contenu des portefeuilles. Autant d'exigences qui requièrent «de plus en plus de ressources», affirme Stéphane Corsaletti.

A titre d'exemple, l'analyse quantitative ne suffit pas selon l'AFG. Elle doit, selon le groupe de travail, être complétée par une analyse qualitative approfondie, focalisée sur l'organisation de la société de gestion, le processus d'investissement, l'équipe de gestion, les caractéristiques du fonds. Le risque d'un fonds doit également être appréhendé sous de multiples facettes : risque (volatilité, value at risk, etc.), liquidité, risques organisationnels et opérationnels...

Le coût d'une approche approfondie justifie en grande partie l'intérêt des investisseurs institutionnels pour la multigestion. «Les institutionnels restent intéressés par notre offre de sélection de gérants, notamment parce que cela leur coûterait beaucoup plus cher de créer en interne une équipe de sélectionneurs de fonds», précise Charlotte Dennery. La taille des multigérants crée par ailleurs une concurrence en ce qui concerne les frais de gestion. «En raison de l'importance des volumes que nous gérons, nous avons un pouvoir de négociation à la baisse sur les frais de gestion dans des fonds ouverts, indique Eric Tazé-Bernard. Notre poids nous permet d'obtenir des conditions tarifaires avantageuses sur des fonds ouverts. Certaines sociétés de gestion proposent même aux investisseurs qui investissent en direct dans des fonds ouverts des parts non chargées en frais de gestion, la facturation étant effectuée directement à la société de gestion du fonds de fonds, mais elles sont réservées pour des montants particulièrement importants.»

Parallèlement, pour séduire les institutionnels, les multigérants mettent en avant, à côté de la sélection de fonds à proprement parler, leur métier d'allocataire d'actifs, c'est-à-dire leur capacité à composer des portefeuilles en fonction de leurs anticipations macroéconomiques. «La multigestion d'après la crise ne sera plus la même qu'avant : les clients institutionnels seront toujours intéressés par l'offre de sélection de fonds, mais ils viendront également vers nous pour obtenir du conseil en allocation d'actifs ou des solutions de multigestion pour couvrir leurs contraintes de passif. Dans ce dernier cas de figure, des produits de type Target Return pourront parfaitement répondre à leur attentes.» Une tendance également observée chez Russell Investments : «Les investisseurs institutionnels, quelle que soit leur taille, nous sollicitent de plus en plus pour notre expertise en allocation d'actifs, voire en allocation tactique, observe Serge Héringer, directeur général de Russell Investments France. Ceux de taille moyenne sont particulièrement intéressés par des mandats d'allocation globaux. A l'inverse, les institutions de taille plus importante préfèrent conserver leur propre comité d'allocation d'actifs, ce qui ne les empêche pas de faire appel à notre recherche interne pour connaître notre schéma d'allocation géographique idéal, notre momentum sur les différentes classes d'actifs (Enhanced Asset Allocation)...» Si cette évolution vers le conseil en allocation d'actifs devait se confirmer, les spécialistes de la multigestion pourraient bien être obligés de revoir leur business modèle.

Floriane Tedoldi