par Shaimaa Fayed

LE CAIRE, 7 juillet (Reuters) - Il n'a aucune expérience militaire, a vécu en Occident pendant des décennies et s'est montré critique envers tous les dirigeants successifs d'Egypte depuis son entrée dans l'arène politique en 2010.

Malgré ce profil inhabituel pour un aspirant au pouvoir en Egypte, Mohamed ElBaradeï paraît à 71 ans bien placé pour prendre la tête d'un gouvernement intérimaire après l'éviction du président islamiste Mohamed Morsi par l'armée.

La nomination de l'ancien chef de l'Agence internationale de l'Energie atomique (AIEA) a même été annoncée par les médias officiels et des responsables égyptiens samedi soir, avant d'être démentie un peu plus tard par le porte-parole du président intérimaire Ali Mansour.

Le porte-parole a précisé que l'opposition du parti salafiste Al Nour, qui a menacé de se retirer du processus de transition, était à l'origine du blocage. (voir )

Favori des libéraux et des jeunes révolutionnaires, Mohamed ElBaradeï semble cependant rester le "premier choix" de l'armée. "Il a une stature internationale, il est populaire auprès des jeunes et il croit en une démocratie laissant leur place à toutes les forces politiques", confiait déjà une source militaire dans les heures qui ont suivi la destitution de Mohamed Morsi.

De sources politiques, on souligne que le lauréat du prix Nobel de la paix en 2005 pour ses efforts à la tête de l'AIEA contre la prolifération nucléaire dans le monde, présente aussi l'avantage d'être acceptable aux yeux des Occidentaux, qui ont soigneusement évité de qualifier de "coup d'Etat" la mise à l'écart de Mohamed Morsi.

Mohamed ElBaradeï a assuré que le plan de transition élaboré par l'armée allait permettre de "poursuivre la révolution" de 2011.

"AGENT DE L'ÉTRANGER"

Ce soulèvement, qu'il avait prophétisé, est survenu un an seulement après son retour en Egypte une fois achevées ses douze années à la tête de l'AIEA, au cours desquelles il a notamment tenu tête aux Etats-Unis au sujet des supposées armes de destruction massive de l'Irak de Saddam Hussein.

Son entrée en politique en 2010 a bousculé un régime sclérosé par trois décennies de pouvoir autocratique d'Hosni Moubarak, qu'il s'était dit prêt à défier dans les urnes si une élection démocratique lui était garantie.

Aux yeux de nombre de ses compatriotes, cette audace ne compensait pas toutefois les handicaps empêchant les Egyptiens de s'identifier pleinement à ce fils d'avocat titulaire d'un doctorat en droit de l'université de New York, aux allures d'intellectuel avec ses lunettes rondes et aux manières policées de diplomate onusien.

Après tant d'années passées loin d'Egypte, les partisans d'Hosni Moubarak ont eu tôt fait de le qualifier d'"agent de l'étranger". Dans le camp opposé, les islamistes le jugeaient "trop libéral" pour prétendre diriger le pays.

En février dernier, un prédicateur salafiste, Mahmoud Chaabane, a jugé que Mohamed ElBaradeï méritait la mort au regard de la loi islamique (charia) pour avoir critiqué le pouvoir.

Mohamed ElBaradeï a déçu ses partisans en janvier 2012 en renonçant à se présenter à l'élection présidentielle, qu'il qualifiait par avance de farce en l'absence de Constitution définitive.

Ses détracteurs jugent que la raison de cette défection est à chercher ailleurs, dans la certitude que ce libéral passant encore l'essentiel de son temps à l'étranger n'aurait aucune chance d'être élu face à la mécanique électorale bien huilée des Frères musulmans, solidement implantés depuis des décennies au sein de la population.

ADEPTE DU CONSENSUS

Ces mêmes adversaires lui reprochent régulièrement d'être totalement déconnecté de la réalité quotidienne des Egyptiens. Mohamed ElBaradeï, qui communique essentiellement via Twitter dans un pays où l'usage d'internet reste peu répandu, a tenté de rectifier cette image récemment avec davantage de discours en public.

Choisi comme représentant par le Front de salut national (FSN), coalition rassemblant libéraux, laïcs et militants de gauche, et par les jeunes manifestants du mouvement Tamarud ("rébellion"), il semble désormais incontournable dans le processus de transition en Egypte.

Adversaire résolu de l'autocratie, il ne cesse de prôner la recherche du compromis pour sortir l'Egypte de son chaos politique et de sa crise économique.

"Le succès ou l'échec dépendent désormais du consensus politique car sans consensus, il n'y a pas de stabilité", a-t-il dit en avril dans une interview accordée à Reuters et à Associated Press dans sa villa du Caire.

"Sans stabilité, l'économie ne fonctionne pas et sans économie en état de marche, vous finissez par avoir un peuple affamé et en colère."

Défenseur de la liberté d'entreprendre, Mohamed ElBaradeï s'est dit confiant dans le fait que les monarchies du Golfe, notamment l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, très hostiles aux Frères musulmans, soutiendraient financièrement les nouvelles autorités.

Il s'est aussi favorable à la signature d'un accord sur un prêt de 4,8 milliards de dollars avec le Fonds monétaire international, quitte à mettre en oeuvre la politique d'austérité exigée en contrepartie par le FMI et qu'ont refusé d'appliquer les Frères musulmans.

"Il n'y a pas d'autre choix", disait-il en avril.

Au risque de se retrouver à son tour dans la peau du dirigeant contesté par la foule. (Bertrand Boucey pour le service français, édité par Tangi Salaün)