par Bate Felix et Alexandria Sage

BAMAKO/PARIS, 16 janvier (Reuters) - L'armée française a lancé mercredi une offensive terrestre contre les groupes islamistes au Mali et cherche à progresser vers le nord du pays après avoir bombardé pendant six jours les djihadistes qui y ont établi leurs bases l'an dernier.

Paris a appelé la communauté internationale à se mobiliser contre la menace représentée par les fondamentalistes, illustrée par l'attaque contre une exploitation gazière mercredi dans l'est de l'Algérie.

Selon l'agence de presse mauritanienne Ani, un groupe lié à Al Qaïda dit y avoir pris 41 Occidentaux en otages en représailles à l'ouverture de l'espace aérien algérien aux avions français. Au moins deux expatriés, dont un Français, auraient été tués. (voir et )

Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a reconnu que l'engagement de la France au Mali risquait d'être "long", un sentiment partagé par les experts qui soulignent la difficulté à contrôler des régions désertiques aussi vastes et à reconstruire un Etat malien en pleine deliquescence.

L'opération au sol, nouvelle phase de la mission Serval, est désormais engagée et des combats directs entre soldats français et djihadistes devraient bientôt éclater, a prévenu mercredi matin le chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud.

"Dans les heures qui viennent, mais je ne suis pas capable de dire si c'est dans une heure ou dans 72 heures, nous combattrons directement", a-t-il dit.

Selon des habitants de Bamako, une colonne d'une trentaine de véhicules blindés Sagaie a quitté la capitale en direction de Niono, à 300 km plus au nord, où la progression des islamistes vers le Sud a été arrêtée.

Les militaires français s'emploient à y encercler les insurgés avant de donner l'assaut, a-t-on appris de source militaire malienne.

L'armée malienne cherche de son côté à sécuriser la frontière mauritanienne et se heurte aux islamistes qui se sont emparés mardi de la petite ville de Diabali, proche de Niono.

"Il y a des combats. Pour l'instant, ce ne sont que des tirs de loin. Ils n'ont pas réussi à entrer dans Diabali", a déclaré Oumar Ould Hamaha, un porte-parole du Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao).

CRIMES DE GUERRE

L'amiral Guillaud a expliqué que les bombardements aériens menés par les Rafale et les Mirage ne suffisaient pas parce que les djihadistes ont trouvé refuge dans les villes, où ils se mêlent à la population civile, l'armée française ne voulant selon lui prendre "aucun risque".

Des habitants de Diabali qui ont fui les combats ont confirmé que les djihadistes utilisaient la population comme bouclier humain.

De nombreux Maliens du Nord ont accueilli avec un mélange de peur et d'espoir l'intervention française contre les islamistes, qui leur imposent depuis le printemps 2012 une stricte application de la charia, en coupant les mains et les pieds des criminels, et ont détruit les mausolées de saints soufis de Tombouctou.

La Cour pénale internationale (CPI) a annoncé mercredi avoir ouvert une enquête sur des crimes de guerre présumés au Mali.

"Depuis le début du conflit armé qui a éclaté en janvier 2012, (...) divers groupes armés ont semé la terreur et infligé des souffrances à la population par tout un éventail d'actes d'une extrême violence", a expliqué la procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda.

"Je suis parvenue à la conclusion que certains de ces actes de brutalité et de destruction pourraient constituer des crimes de guerre au regard du Statut de Rome" créant la CPI, a-t-elle ajouté.

Selon des habitants de la région de Tombouctou, des avions français ont bombardé le siège de la "police islamique" mise en place par les fondamentalistes à Niafunke, une ville sur le fleuve Niger.

Jean-Yves Le Drian a reconnu que la mission de la France au Mali était "difficile", particulièrement dans l'ouest du pays où les combattants étrangers d'Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) semblent majoritaires.

Le président François Hollande a de son côté assuré que la France resterait engagée dans son ancienne colonie jusqu'à sa stabilisation politique et sécuritaire.

"LA FRANCE N'EST PAS SEULE"

Paris espère pouvoir s'appuyer pour cela sur une force ouest-africaine sous mandat de l'Onu, dont les premiers contingents pourraient arriver dès jeudi au Mali.

Les chefs d'état-major des pays de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) se sont retrouvés mercredi à Bamako pour examiner les problèmes logistiques posés par ce déploiement anticipé, initialement prévu en septembre au mieux.

"Ils vont se déployer dans un premier temps dans des zones de transit avant d'affronter l'ennemi sur le terrain", a indiqué Ibrahim Dembele, chef d'état-major de l'armée malienne.

François Hollande a estimé mercredi lors de ses voeux aux parlementaires que la France n'était pas isolée au Mali, répondant à une remarque du président de l'UMP Jean-François Copé sur la "solitude" de Paris dans cette opération.

"La France n'est donc pas seule, elle est d'abord là parce qu'elle était la première présente dans la région", a assuré mercredi le chef de l'Etat.

"Elle n'est pas seule puisqu'elle a le concours des Africains qui seront les seuls à déterminer l'ampleur de l'opération. Elle n'est pas seule, puisqu'elle a le concours aussi des Européens sur le plan matériel", a-t-il ajouté.

L'Allemagne a promis de mettre à disposition deux avions de transport de troupes Transall pour faciliter les déplacements des soldats.

La Grande-Bretagne a de son côté fourni deux avions cargos géants C-17 pour acheminer les blindés français. Les Etats-Unis ont en revanche exclu d'envoyer des troupes, mais ils se sont dits prêts à aider pour la logistique et la surveillance.

La crise au Mali risque d'avoir des conséquences directes sur les Occidentaux vivant en Afrique de l'Ouest, dont 30.000 Français qui s'inquiètent pour certains d'être la cible de représailles.

"Les intérêts français sont menacés partout", a reconnu mardi devant la presse l'ambassadeur de France au Mali, Christian Rouyer.

Après les menaces des islamistes, déjà passés à l'acte en Algérie, le président sénégalais Macky Sall a appelé mercredi ses compatriotes à la vigilance face aux "infiltrations" des "prédicateurs étrangers". (Avec Chine Labbé à Paris, Tiemoko Diallo et Adama Diarra à Bamako, Alexandra Hudson à Berlin, Tangi Salaün pour le service français)